Riche ou pauvre, puissant ou faible, tout citoyen oisif est un fripon.
Rousseau - Émile ou de l'éducation
Voyons un peu ce que contient la thèse de Rousseau. Si vous travaillez, est-ce que vous vous posez la question de l’utilité sociale de votre travail ? Non ? Vous considérez que la seule question qui importe est de savoir s’il vous permet de vivre correctement ? Vous avez tort. On ne travaille pas seulement pour gagner sa vie ; on travaille également pour contribuer au bien public (1). Le riche ne travaille pas pour vivre ; il doit néanmoins travailler pour les autres, c’est à ce prix qu’il est un citoyen. Et d’ailleurs, si l’oisiveté est un délit, alors le travail est une obligation pénale.
C’est là que les choses se compliquent.
Et en effet, quoi de plus raisonnable que de penser la société comme une association de coopération, chacun œuvrant au bien public et tirant parti de celui-ci. Le mal est facile à débusquer : c’est l’égoïsme ; sa destruction est sans difficulté : c’est la contrainte. Et la contrainte sera sans scrupule : elle sera faite au nom de la liberté de celui qu’on contraint (pour les explications cf. commentaire du 30 août).
Chacun est tenu de contribuer au bien public, on est tous d’accord là-dessus. Seulement, voilà : alors qu’on serait assez d’accord s’il s’agissait d’argent - l’impôt est une contribution reconnue comme nécessaire et la fraude désigne effectivement le mauvais citoyen - en revanche on ne l’est plus s’il s’agit de travail. Et le S.T.O., et le Goulag sont là pour nous rappeler que derrière la vertu morale et civique du travail se cache l’esclavage et l’arme la plus facile à manier pour briser les résistants et éliminer des peuples entiers (2).
Nous ne vivons plus à l’heureuse époque de Rousseau qui écrivait ces lignes, aux alentours de 1760… On pouvait alors croire que les idées les plus raisonnables devraient servir à créer un monde heureux et viable. Quant à nous, nous avons appris à nous méfier des excès de la rationalité.
(1) Vous avez raison d’envier les fonctionnaires. Ce sont les seuls qui n’ont pas à se poser la question de l’utilité sociale de leur fonction, celle-ci étant leur seule justification.
(2) Son seul inconvénient était la durée. On a dit qu’un détenu du Goulag (un zek) avait à peu près une espérance de vie de 3 mois. L’impatience des nazis était telle qu’ils ont fait appel au zyklon B.
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