C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt qui le pourchasse.
Etienne de la Boétie Discours de la servitude volontaire (1)
Voici l'énigme, relevée par la Boétie : pourquoi les hommes supportent-ils les violences du pouvoir ? La Boétie a cru discerner une complicité entre les esclaves et leurs maîtres, imaginant chez ces malheureux un désir de servitude ; il pointait le déséquilibre des forces entre la multitude asservie et l’individualité unique du tyran. En toute rigueur, il avait raison : le peuple asservi est multitude ; le tyran est toujours une personne unique (2). Mais, à la lumière des siècles écoulés depuis sont époque, on peut penser qu'il a commis deux erreurs.
La première est que, pour que la domination soit possible, il faut que les dominés soient le moins nombreux possible. Il s’agit de minorités, ethniques, sociales, économiques, religieuses, etc. Mais ce n’est pas seulement leur faiblesse numérique qui rend possible leur asservissement ; c’est qu’ils doivent être perçus comme des marginaux dans la société
Car, et c’est la deuxième erreur de la Boétie, le tyran n’est pas seul : la multitude est avec lui non pas pour supporter avec masochisme sa violence, mais pour l’encourager et l’aider à violenter ses victimes. Seulement, ces victimes sont expiatoires ; elles sont coupables. Et la violence qui s’exerce sur elles répond à une nécessité pour équilibrer la société en cas de crises.
Nous avons déjà, ici même évoqué la thèse de R. Girard concernant la victime expiatoire (le pharmakos Cf. message du 8 mai) : parce que nous avons besoin d’évacuer par la violence le stress provoqué par les catastrophes qui s’abattent sur la société, nous avons besoin de désigner quelques responsables sur les quels se déchaînera la violence. Ces responsables seront justement les individus ou les groupes perçus comme des étrangers, comme ceux qui ne peuvent que nuire à la société, parce qu’ils ne lui sont pas intégrés.
Alors bien sûr, la Boétie pointe un fait essentiel : les libertés sont bafouées pour tous sauf pour le(s) bénéficiaire(s) de pouvoir. Mais il oublie de remarquer que la responsabilité de ces privations est précisément attribuée aux minorités : les Juifs qui spolient les malheureux ouvriers, les étrangers qui trahissent le peuple…
… les immigrés qui pillent nos allocations familiales.
(1) Cf. aussi le message du 29 août
(2) Le Discours de la servitude volontaire, est parfois aussi intitulé le Contr’Un.
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