Ce n'est pas communiquer que communiquer seulement ce qui est clair.
Alain – Propos de littérature
A notre époque, beaucoup de choses consistent en de la com’ : l’art de communiquer a remplacé la rhétorique ; et la pédagogie ; et aussi la philosophie (1). Entendez que peu importe ce qu’on veut communiquer, ce qu’il faut d’abord, c’est arriver à retenir l’attention le temps de transmettre quelque chose. On dirait même que ce qu’il faut transmettre se définit par la possibilité de le transmettre – selon les techniques de la com’.
Et quand ça devient difficile, ces techniques remontent en amont, vers les conditions préalables à la diffusion du message. On se rappelle la polémique soulevée par les propos du directeur de TF1 concernant la disponibilité d’esprit vendue à Coca-cola (2).
Sur quoi voici les propos iconoclastes d’Alain : ce n'est pas communiquer que communiquer seulement ce qui est clair.
Bigre ! Comment communiquer ce qui est obscur, confus, incompréhensible ?
- Qu’est-ce que la clarté ?
Alain nous invite à nous méfier de la clarté, quand elle ne serait en fait que passivité et réceptivité (3).
Je n’ai pas le contexte sous les yeux, mais je comprends que pour communiquer une pensée, il ne suffit pas qu’elle soit claire ; il faut qu’elle le devienne. Lorsque je veux communiquer, je dois conduire l’autre, pour me comprendre, à tirer le rideau qui lui cachait ce que j’avais à lui dire. Dévoilement, le grand mot de la philosophie… Ce qui est clair, c’est ce qui est clarifié.
- Et maintenant, qu’est-ce que c’est que communiquer ?
Communiquer, c’est transmettre une pensée à quelqu’un. Disons qu’on ne communique qu’une pensée ; quand aux sentiments, ils peuvent bien se partager, mais sans qu’on sache jamais si ceux qu’on vit sont bien les mêmes que ceux qu’on nous a décrits. Par contre, communiquer une pensée, c’est donner à penser.
- Donner à penser, comment ça marche ?
Pour cela, il faut que l’autre nous aide à refaire un chemin qu’il a déjà parcouru pour en faire notre propre chemin, et à partir de là tracer sa propre route – même si elle ne va pas bien loin, même si elle s’arrête tout de suite, elle sera notre pensée, et c’est en cela qu’elle sera féconde. (4)
Halte à la com’–TF1 pour qui communiquer c’est imprimer sa trace dans le cerveau, comme un tampon dans la cire molle.
Mais pour ça, il
faut d’abord lessiver le cerveau…
- N’est-ce pas,
Mère Denis ?
- C’est bien vrai ça !
(1) On se croirait revenu à l’époque des sophistes – ceux de Platon.
(2) « Ce que nous vendons à Coca-cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. » Patrick Le Lay (Post du 12 août 2006)
(3) Ce qui nous crève les yeux nous rend aveugle dirait notre Muse de la Bute aux cailles.
(4) Sur ce sujet, ne manquez pas de lire l’interview de Jacques Rancière dans le Télérama de cette semaine (n°3074)
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