Nous ne pouvons tous régner ici, nous, Achéens. Il n’est pas bon, le commandement multiple. Qu’il y ait un seul commandant, un seul roi, celui qui a reçu ce lot du fils de Cronos à l’esprit retors.
Homère – Iliade, chant II, 204-207 (Traduction Lasserre – en grec ici)
Mais les êtres ne veulent pas être mal gouvernés :
Le commandement de plusieurs n’est pas bon : qu’il n’y ait qu’un seul chef !
Aristote – Métaphysique (livre lambda, 1076a 5)
D’avoir plusieurs seigneurs aucun bien n’y voi ;
Qu’un, sans plus, soit le maître et qu’un seul soit le roi,
ce disait Ulysse en Homère, parlant en public.
La Boétie – Discours de la servitude volontaire (Contr’Un)
Qu’Aristote utilise cette citation pour clore le livre lambda de la Métaphysique, et que La Boétie l’utilise à son tour pour ouvrir son Discours dit assez son importance.
Mais nous l’aurions reconnu sans cela, nous qui, aux prises avec les soubresauts de notre démocratie, assistons aux efforts redoublés du pouvoir exécutif pour prendre le contrôle des autres pouvoirs. Face aux disputes (stériles ?) du débat républicain, l’autorité d’un seul prenant ses décisions depuis son bureau (de l’Elysée ?) n’est-elle pas meilleure, comme le disait déjà le prudent Ulysse ?
Chacun répondra en son âme et conscience, à condition d’avoir d’abord tranché la question que voici : Comment concevoir le bon gouvernement ?
Nous avons déjà fait référence au livre d’Agamben, Le règne et la gloire, qui consacre un chapitre entier à ce passage d’Aristote et à la question du pouvoir. Résumons hardiment : l’excellence d’un régime politique peut venir soit du chef qui le dirige, soit de l’harmonie existant entre les citoyens qui leur permet de se gouverner par eux-mêmes. Mais on peut aussi, selon Aristote, faire la synthèse de ces deux pôles : qu’il y ait et un chef, qui règne sans gouverner, et un ordre dans la société qui gouverne sans régner. (1)
A ce moment, c’est l’excellence du chef qui donne au système politique la direction à suivre, qui sert de modèle à imiter, ou plutôt de valeur à rejoindre.
C’est que tout cela en effet ne se comprend que par la finalité : la vie politique ne s’organise qu’en fonction d’un but qu’on appelle le bien public. Une démocratie se comprend comme une organisation politique dans la quelle chacun remplit la fonction qu’il est naturellement disposé à remplir, mais qui se définit par ce but commun. Vous serez médecin ou cantonnier selon vos envies et dispositions, à condition que la collectivité ait besoin de médecins et de cantonniers. Mais si vous êtes enclin à collectionner les papillons, et que le pays n’en ait aucun besoin, vous ne pourrez en faire qu’un hobby.
Le rôle du chef est alors de définir ce bien public, de sorte que l’organisation politique n’ait plus qu’à suivre le cap.
C’est dans ce sens qu’on a pu dire : Le roi règne, mais il ne gouverne pas.
(1) Libre à vous de croire que les auteurs de la Constitution de la Vème république se sont inspirés d’Aristote.
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