Tuesday, February 23, 2010

Citation du 24 février 2010

On s'explique mal que nombre de gens aiment mieux prêter de l'argent, au risque de le perdre, que rembourser celui qu'ils doivent.

Courteline – La Philosophie de Georges Courteline

Mais, tandis que celui-ci [= le thésauriseur (1)] n’est qu’un capitaliste maniaque, le capitaliste est un thésauriseur rationnel. La vie éternelle de la valeur que le thésauriseur croit s’assurer en sauvant l’argent des dangers de la circulation, plus habile, le capitaliste la gagne en lançant toujours de nouveau l’argent dans la circulation.

MARX - Le capital, I, 4 (éditions sociales, p. 157 – à lire ici)

Courteline avait-il lu Marx ? Sûrement pas, sans quoi il n’aurait il n’aurait pas manifesté cet étonnement.

Mais ne l’oublions pas : une question peut en cacher une autre. Qui est celle-ci : en aimant l’argent, qu’aime-t-on ? Aime-t-on le posséder, comme le « thésauriseur maniaque » ? Ou aime-t-on en avoir toujours plus, comme le capitaliste que Marx qualifie de « thésauriseur rationnel » ?

En réalité, si Courteline avait lu Marx, il aurait compris que la contradiction qu’il pointe résulte en fait la méconnaissance de ce qu’on recherche avec l’argent. Selon Marx, l’amour de l’argent, c’est la recherche de « la vie éternelle de la valeur » ; ce qu’on recherche, c’est l’éternité – de l’argent, et non par l’argent. (2)

Au fond, on est ramené à la thèse présentée par Platon dans le Banquet : « En somme l'amour consiste donc à vouloir posséder toujours ce qui est bon » affirme Diotime, expliquant à Socrate que le désir de possession exclut la consommation qui détruirait l’objet désiré. Mais c’est là qu’est le problème avec l’argent : comment le posséder toujours sans le consommer jamais et sans qu’il dépérisse.

C’est bien là qu’est la difficulté ; si j’aime l’argent je ne devrais pas le dépenser, puisque alors je ne l’aurais plus – mais en même temps que faire avec cet argent si je n’en fais rien ? La plupart des gens voudraient gagner au Loto pour avoir tant d’argent qu’ils pourraient le dépenser sans compter et sans que leur magot ne diminue. Ceux qui réfléchissent un peu plus se disent qu’en le plaçant intelligemment ils pourront vivre de leurs rentes sans entamer leur capital. Les voici donc thésauriseurs rationnels, c'est-à-dire capitalistes.

Mais ces gens-là sont des petites gens, des pauvres devenus riches qui n’auront jamais le pur amour de l’argent. Ceux qui sont possédés de cet amour le savent : quant on aime l’argent on n’en a jamais assez, parce que c’est ça le mode d’existence de la valeur éternelle de l’argent : toujours plus. C’est là qu’est l’essentiel.

On parle aujourd’hui avec mépris des banquiers et de leur avidité : on passe à coté de l’essentiel. Les banquiers sont des amoureux qui, comme le dit Platon accèdent, grâce à cet amour, à l’éternité – celle de la valeur.

[Rappelons, pour ceux qui pensent que les mortels n’ont pas accès à l’éternité, et surtout pas par l’intermédiaire de l’argent qui s’érode et se dévalue sans cesse, que Platon explique dans le Banquet que l’immortalité (=éternité) n’est accessible pour les mortels que grâce à la procréation. Aimer l’argent, c’est donc vouloir qu’il fasse des petits.]


(1) Mot du jour – Thésauriseur : celui qui amasse de l'argent.

(2) À comparer avec notre Post d’hier où la recherche du gain était la manifestation, non pas de l’amour de l’argent, mais d’un amour narcissique de soi

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