Un pardon qui conduit à l'oubli, ou même au deuil, ce n'est pas, au sens strict, un pardon. Celui-ci exige la mémoire absolue, intacte, active - et du mal et du coupable.
Jacques Derrida – Interview avec Antoine Spire - Le Monde de l'éducation - septembre 2000
Pardonner, ce n’est pas oublier la faute ni bien sûr faire son deuil des valeurs qui ont été offensées par elle. Pardonner, c’est continuer de vivre avec le coupable, comme avant, parce qu’on a de l’amour pour lui.
--> Ça, mon très cher alias Docteur-Philo l’a dit (ici), et je ne saurais faire mieux.
Mais Derrida va encore plus loin, beaucoup plus loin. Le pardon, dit-il, n’est pas l’oubli, au contraire : il est mémoire absolue, intacte, active - et du mal et du coupable.
Nous voici en plein paradoxe, avec un pardon dont l’exercice exige la représentation de la faute. Un peu comme si nous, qui aimons Jésus du plus grand et du plus pur amour, nous réclamions d’avoir sous les yeux ses tourments de son agonie sur la croix pour pouvoir continuer de pardonner à ses bourreaux.
- Hé, vous, les Romains (1). Vous pourriez pas recrucifier Jésus un petit peu, qu’on puisse vous pardonner encore une fois ?
Bizarre…
Toutefois, il me semble que ce que veut dire Derrida, c’est que le pardon ne se distingue vraiment de l’oubli et du deuil (entendons : le deuil qui est une revanche de la vie, elle qui finalement continue comme avant avec les mêmes élans et les mêmes rires) que dans le moment même où il est accordé, lorsque dans notre cœur s’établit la paix qui accompagne la rémission de la faute.
Le pardon est donc un acte et jamais un état. Le pardon n’existe pas ; seul existe l’acte de pardonner.
Voilà une belle pensée… Mais l’inconvénient avec certains philosophes, c’est qu’entre leur construction conceptuelle et la réalité, il y a parfois un gouffre. C’est ce qu’on a souvent dit des stoïciens ; mais ici, avec Derrida, ce n’est pas mal non plus.
Imaginez :
- Chérie, tu te rappelles quand j’ai découvert l’an dernier que tu couchais avec mon meilleur ami ? Tu sais qu’au au moment où je t’ai pardonnée j’ai ressenti pour toi une très grande émotion : j’ai été submergé d’amour pour toi.
Chérie, bientôt la saint Valentin : tu ne voudrais pas t’arranger pour me tromper encore une fois, que je puisse encore t’aimer comme l’an dernier ?
(1) Ou les juifs, si vous voulez. Moi, je ne polémiquerai pas avec ça.
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