En France, une institution aussi arbitraire que la censure serait à la fois inefficace et intolérable ; dans l’état présent de la société, les mœurs se composent de nuances fines, ondoyantes, insaisissables, qui se dénatureraient de mille manières, si l’on tentait de leur donner plus de précision. L’opinion seule peut les atteindre ; elle seule peut les juger, parce qu’elle est de même nature.
Benjamin Constant – De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes
Censure 1.
La censure est souvent choisie comme exemple de l’inanité des interdits quand il faut réguler la pensée humaine.
Nous n’échappons pas à l’erreur signalée par Constant : voyez les ridicules procès intentés pour des délits d’opinion racistes, antisémites, etc…
L’exemple le plus récent dans ma mémoire c’est le procès intenté à Siné pour antisémitisme, pour avoir écrit que le fils Sarkozy – celui qu’on appelle depuis le Prince Jean – s’était converti au judaïsme pour épouser une riche femme juive. Le délit étant constitué par le fait de souligner que cette femme était et juive et riche (1).
On sait que la censure apparaît généralement comme une vieille femme acariâtre (Anastasie) armée d’une grande paire de ciseaux. On ne parle d’elle que pour s’en moquer, et la meilleure façon de le faire, c’est effectivement de montrer qu’elle ne sait même pas elle-même ce qu’il faut censurer et pourquoi il faut le faire.
Toute fois il y a au moins une censure qui ne se trompe jamais et qu’on ne peut contourner : c’est la censure que, selon Freud, notre propre psychisme s’applique à lui-même.
Le sur-moi au quel est liée la censure n’est pas seulement un censeur sévère ; il est aussi infaillible, au point que son action nous révèle souvent la portée de certaines de nos pensées qui nous avaient parues innocentes de prime abord.
En quoi une censure peut-elle être infaillible ? En ce qu’elle reconnaît parfaitement tous les franchissements de la frontière de l’interdit, et si elle les connaît, c’est parce qu’elle sait quelles sont les intentions qui animent ces débordements et qui leur donne un sens.
On dit parfois qu’on ne peut sonder les cœurs et les reins. C’est faux. Le sur-moi le peut, et si on l’a symbolisé par l’œil de Dieu-qui-voit-tout, ce n’est pas pour rien.
(1) Voici le texte incriminé, publié dans Charlie Hebdo du 2 juillet 2008 « [Jean Sarkozy] vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme pour épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin ce petit ! »
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