La colombe
légère, lorsque, dans son libre vol, elle fend l'air dont elle sent la
résistance, pourrait s'imaginer qu'elle réussirait bien mieux encore dans le
vide.
Kant – Critique de la raison pure, Préface
à la 1ère édition
Il plane au
dessus des faits qui ont l’inconvénient d’être.
Clémenceau (à propos du Président Wilson)
Tim O Brien –
the-cage-freedom-never-really-comes
Actualité d’Emmanuel Kant 2 (1)
Planer au
dessus des fait ; considérer leur existence comme un inconvénient :
s’agit-il d’une erreur voire même d’une faute, en particulier (comme le suggère
Clémenceau) pour le politicien ?
Bien sûr, on
doit bien admettre que lorsqu’on a pour tâche de modifier ou de pérenniser
l’ordre des choses, mieux vaut les prendre en compte. Ne pas prétendre dicter
au réel ce qu’il doit être, mais connaître ses causes pour agir dessus. L’histoire
politique récente a montré l’inanité des
référendums lorsqu’ils ne font qu’exprimer un souhait du peuple. Ainsi du
peuple grec qui à plusieurs reprises (une fois avec les législatives de janvier
2015 et une autre avec le référendum en juillet de la même année) a voté contre
la pauvreté, sans savoir si le gouvernement avait les moyens d’action
nécessaire.
Observons
toutefois que si l’homme politique plane, ce n’est pas seulement une rêverie
irresponsable, c’est aussi parce qu’il sait que c’est une condition nécessaire
pour accéder au pouvoir, c’est à dire pour agir concrètement sur les électeurs.
Reprenons
l’image de Kant : la colombe légère
dans son libre vol, n’est pourtant pas satisfaite : elle voudrait
n’éprouver aucune résistance, et ainsi glisser indéfiniment dans l’azur. Kant
en fait une image de la nécessité de limiter les aspirations de
l’entendement : s’agissant de la science, renonçons à prétendre connaître
l’origine première des choses, mais contentons-nous de ce à quoi notre
entendement peut accéder : c’est par lui seul que nous pouvons connaître
et ses limites sont celle de la science en général. Transposé au politique,
cela signifierait qu’il faut renoncer à avoir tout « tout de suite »,
savoir donc faire des compromis et qu’il est essentiel d’être selon un mot à la
mode, pragmatique.
La colombe ne
peut voler qu’avec effort, et nous mêmes ne sommes pas des colombes. Et
alors ? Nous avons un pouvoir dont ce bel oiseau est apparemment
dépourvu : nous avons celui de rêver – rêver que nous volons.
Il s’agit du rêve de vol, dont Bachelard à si bien
parlé (2).
Bachelard
nous montre que les songes aériens sont source non pas d’illusion mais bien de
création poétique. Il s’agit non de décrire un monde illusoire mais de donner à
vivre un monde de verticalité, peuplé d’hommes qui, comme Nietzsche sont des
« poètes ascensionnels ». Le rêveur qui plane est donc un être pétri
de douceur, exempt de passion, qui ne lutte pas contre le monde, mais qui
voyage avec lui.
A défaut de
voler, laissons-nous pénétrer par la nature, fusionnons avec elle et nous
aurons trouvé le secret du bonheur.
On le voit,
le poète n’est pas un politique, et si celui-ci fait appel au rêve et à
l’imagination, c’est une fausse apparence : comme on l’a vu, il reste en
étroit contact avec la réalité par l’intermédiaire de l’effort qu’il fait pour
obtenir de celle-ci (c’est à dire de vous) le consentement à sons ascension… au
pouvoir.
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(1) Nous
avions déjà rencontré la colombe légère de Kant il y a presque 10 ans…
(2) Bachelard
– L’air et les songes (à télécharger ici)
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