L'art n'est peut-être que le don de parer la vérité des grâces irrésistibles du mensonge.
Émile BERGERAT - Les soirées de Calibangrève - Cinquante pensées noires
En art, l'exactitude est la déformation et la vérité est le mensonge.
Octave MIRBEAU Les écrivains Le rêve
Deux citations que je renverrai dos à dos - si vous n’y voyez pas d’objection - pour dire que le débat sur la véracité et le mensonge en art est clos.
On opère avec des concepts qui sont minés par l’ambiguïté, l’à-peu-près, la polysémie rampante ; mais de toute façon, que la vérité soit confondue avec la réalité, que le mensonge soit l’illusion ou une déformation de la réalité, que nous importe ?
Ce qui compte c’est de déplacer le problème : Qu’est-ce qui importe vraiment en art ? Et de poser sa solution : en art ce qui importe, c’est de donner à vivre quelque chose de neuf par la réalité de l’œuvre, éventuellement par le contact avec le réel qu’elle nous permet. L’art pictural, depuis les impressionnistes, ne dit rien d’autre. Et la musique « post-romantique » (Wagner !), rien d’autre non plus. Dont acte.
Le sous-problème, c’est qu’avec une telle réponse on risque de bénir n’importe quel délire : je veux dire : délire du spectateur, pas forcément celui de l’artiste. Qu’un gribouillis d’écolier me donne des sensations sublimes (ou un riff joué à la guitare), parce que j’ai pris une quelconque substance prohibée, et me voilà avec une œuvre d’art. On attribue à Picasso l’affirmation qu’on peut peindre n’importe quoi, il y aura toujours quelqu’un (= un critique d’art) pour y trouver un sens. Le snobisme des Précieuses ridicules n’est bien sûr pas mort.
On ne peut pas sortir complètement de cette aporie, sans quoi il n’y aurait que des œuvres d’art dans les musées (!) ; mais on peut s’en servir pour délimiter les contours de l’œuvre d’art.
Selon moi, l’art est une construction qui doit être communicable, c’est dire que le langage doit pouvoir s’en emparer : l’art est ce dont il y a commentaire. Mais, à la différence de l’objet technique, le commentaire de l’œuvre d’art est inépuisable. On a eu l’occasion de le dire bien souvent : si l’urinoir de Duchamp est une sculpture, alors on peut toujours en dire quelque chose et on a raison de le placer dans un musée ; mais si c’est un misérable pissoir, alors il est sans intérêt et sa place est dans les toilettes de Beaubourg.
Mais le commentaire ne suffira pas non plus : déjà parce qu’étant inépuisable, il a toujours besoin de se ressourcer au contact de l’œuvre. Ensuite et surtout, parce qu’une œuvre d’art c’est quelque chose qui se vit. Jouez la Lettre à Elise au piano ; vous la connaissez par cœur ; chaque note est gravée dans votre mémoire, vous pourriez la réciter. Et pourtant, c’est toujours la même émotion qui vous étreint.
Maintenant si vous la jouez avec votre scanner, je suis pas sûr que ça marche...
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