Quand on s'indigne, il convient de se demander si l'on est digne.
Abbé Pierre - Servir
Au-delà de toute « abbé-pierrolâtrie », considérons l’abbé Pierre comme un spécialiste de l’indignation. Il est celui dont l’indignation faisait mouche : elle faisait trembler les puissants, parce qu’elle soulevait les faibles. D’où la question : qu’est-ce qu’elle avait de spécial, cette indignation pour toucher ainsi ?
La réponse est : tout dépend de qui s’indigne. Et de quoi on s’indigne.
1 - De quoi s’indigne-t-on ? La définition usuelle du mot nous dit : « indignation : sentiment de colère et de révolte suscité par tout ce qui peut provoquer la réprobation et porter plus ou moins atteinte à la dignité de l'homme. » (TLF) Voilà : on pourrait ne pas s’indigner que l’assassin de l’ourse Cannelle soit relaxé ; on s’indigne du sort des sans-abri parce qu’il porte atteinte à « dignité de l'homme ». Autrement dit, l’indignation est morale, elle ne prend son sens que lors que c’est l’humanité qui est atteinte et bafouée par le sort qui est fait à un homme, quel qu’il soit. On est dans l’impératif catégorique de la morale kantienne (1) car c’est l’humanité, incarnée par chaque être humain qui est en cause.
2 - Qui s’indigne ? La question est mal posée ; l'abbé nous demande : comment pouvons-nous être digne de nous indigner ? La réponse kantienne est ici de peu de secours : pour être moralement dignes, nous devons respecter l’humanité qui est en nous (2). Ainsi, tout ce qui porte atteinte à celle-ci, et en particulier le fait de considérer notre propre corps comme un simple instrument (par exemple de jouissance), nous rend moralement indignes. A ce compte-là personne n’est digne de s’indigner, par même l’abbé Pierre…
La vie du (futur) saint abbé nous enseigne la véritable réponse : pour être digne de s’indigner, il faut montrer par sa vie que l’on ne peut toucher impunément à la dignité humaine, que notre combat est celui de la fraternité. Que chacun ait honte de ne pas s’indigner devant l’exemple donné par la vie de celui qu’indigne le sort des malheureux.
L’« appel du héros » dont parle Bergson n’est pas loin…
(1) « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen ».
(2) Voir le message du 8 novembre
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