Friday, January 26, 2007

Citation du 27 janvier 2007

Nul ne s'instruit en écoutant; c'est en lisant qu'on s'instruit.

Alain - Propos sur l'éducation (1932)

Lire est une forme de paresse dans la mesure où on laisse le livre penser à la place du lecteur. Le lecteur lit et se figure qu'il pense ; de là ce plaisir qui flatte l'amour-propre d'une illusion délicate.

Julien Green - Journal

Je ne reviens pas sur la lecture (récemment évoquée le 14 janvier) ; je voudrais simplement utiliser ces phrases pour réfléchir sur la raison d’être des citations.

Il ne vous a pas échappé que ces deux énoncés se contredisent carrément : ne risquent-ils pas de ruiner l’intérêt qu’on porte aux citations, en qui on veut voir le reflet de notre vision du monde, le véhicule de notre pensée, la brosse à reluire de notre intelligence ? Le choix d’une citation n’impliquerait-il pas l’oubli de la citation opposée ? Ma thèse sera qu’une citation ne dit rien, ne contredit rien, ne délivre aucun message.

On aura déjà compris où je voulais en venir : une citation n’a d’intérêt que si on lui redonne le sens qu’elle a perdu en perdant son contexte. Un auteur n’écrit pas de citations. Il écrit un texte, et au sein de celui-ci, une phrase, retenue à titre de citation, sera comme un lambeau qu’on lui a arraché. Cette mutilation peut ruiner son sens, lui en conférer un nouveau, il peut même arriver qu’il se conserve sans trop de dommages… Tout dépend de l’usage qu’on en fera.

Selon moi, il y a une règle déontologique qu’on devrait se fixer quand on cite un auteur : on a le devoir de restituer le contexte, ou du moins de n’employer cette phrase que dans celui qui peut honnêtement être substitué au contexte d’origine. Exemple : on devine qu’Alain fait référence à la pensée construite, celle que la rhétorique désigne par le terme de discours ; en revanche, Julien Green vise la lecture-attitude, celle qui relève du snobisme intellectuel qui cherche dans le livre une pensée toute faite, justifiée par le renom de l’auteur ; tout sauf ce qu’Alain appelle « penser ».

Alors, peut-on dire que j’ai respecté ces règles déontologiques ? Non, bien sûr, puisque j’ai institué un nouveau contexte par le rapprochement entre ces deux citations qui n’ont aucun rapport véritable entre elles.

Cela me rappelle une certaine pratique de l’enseignement philosophique, qui procède par débat entre les textes : on y voit Platon affronter Sartre, ou Epicure annoncer Marx. Bien sûr, il suffirait peut-être de respecter la chronologie pour se rapprocher de la vraisemblance ; mais ce n’est pas si sûr. Car là encore, comment trouver un contexte commun qui permette de confronter ces textes ?

On s’en tire en disant que la philosophie est éternelle (philosophia perennis) ; et que les philosophes n’ont jamais fait que mettre des commentaires dans les marges des textes de Platon.

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