L'autorité est la légitimité qu'a un homme à agir sur un autre homme, sans que ce dernier réagisse sur lui, bien qu'il en ait la possibilité.
Alexandre Kojève - La notion d'autorité
La citation du jour vous offre une mise à niveau morale gratuite, en particulier si vous avez été pollué par des parents soixante-huitards (la peste les étouffe).
Morale - 3ème leçon - L’autorité.
Dans le concept d’autorité il y a trois choses :
- d’une part un pouvoir, qui peut être physique mais qui est plus souvent moral ;
- il y a d’autre part, du côté de celui qui obéit, l’acceptation, la reconnaissance même de ce pouvoir, ce qui signifie le renoncement au rapport de force ou à l’affrontement.
- En conséquence, cette reconnaissance peut être exigée comme un droit par celui qui détient légitimement cette autorité.
De plus : non seulement celui qui détient l’autorité est réputé puissant, mais sa puissance est doublée d’une totale liberté : si vous avez l’autorité sur quelqu’un (par exemple : sur vos enfants mineurs), alors vous êtes totalement libre de faire ce que bon vous semble (dans leur intérêt, ça va de soi). Personne ne peut vous dicter votre conduite. C’est donc ça aussi l’autorité : pouvoir légitime de commander les autres et pouvoir d’agir indépendamment des autres. L’autorité est compatible avec un pouvoir absolu.
Certes, l’autorité est bien une contrainte ; mais elle est une contrainte morale en ce sens qu’elle n’a pas besoin d’un contact physique ; autant dire qu’elle est particulièrement économique. Celui qui se soumet à elle le fait sans contestation ni lutte ; on dirait même qu’il cherche à plaire à celui qui le domine.
Dernière question : pourquoi faudrait-il reconnaître quelqu’un comme une autorité ? Sur quelle valeur se fonde-t-elle ? Quelle est l’origine de ce rayonnement qui montre la force sans exercer ?
Il en va de l’autorité comme du respect des valeurs : le fondement le plus simple est à chercher dans le fait religieux. Le précepte « Toute autorité vient de Dieu » vient de Saint-Paul (1) ; il est encore présent chez Kant et chez Rousseau - qui le critique il est vrai - Pour se faire obéir, il suffit de se présenter comme le représentant de la volonté divine…
…ou du suffrage universel.
(1) Saint Paul « celui qui résiste à l’autorité publique se rebelle contre l’ordre établi par Dieu » (Romains 13, 2). A noter que pour le bon Frère Roger (communauté de Taizé - lire ceci), c’est un frein aux abus… Ouf !
5 comments:
Voici ce qu'écrit Hannah Arendt dans La crise de la culture :
"Puisque l'autorité requiert toujours l'obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant l'autorité exclut l'usage de moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l'autorité proprement dite a échoué. L'autorité, d'autre part, est incompatible avec la persuasion qui présuppose l'égalité et opère par un processus d'argumentation. Là où on a recours à des arguments, l'autorité est laissée de côté."
Arendt conteste donc la dimension "physique" de l'autorité (point 1 de ton analyse). Je suis d'accord en revanche avec les points 2 et 3.
On peut confronter cette réflexion à l'analyse que fait Gadamer dans Vérité et méthode par exemple, pour qui :
"l'autorité ne se concède pas proprement, mais s'acquiert et doit nécessairement être acquise par quiconque veut y prétendre. Elle repose sur la reconnaissance, par conséquent sur un acte de la raison même qui, consciente de ses limites, accorde à d'autres une plus grande perspicacité. Ainsi comprise dans son vrai sens, l'autorité n'a rien à voir avec l'obéissance aveugle à un ordre donné."
A mon sens, Arendt a raison contre Gadamer : l'autorité ne fait pas appel à l'intelligence, mais à la seule reconnaissance d'une hiérarchie préétablie.
Cela m'a donné envie de lire le livre de Kojève en tout cas.
Sinon, à propos de l'autorité, il faut absolument lire Soumission à l'autorité de Stanley Milgram (on en trouve un bon résumé sur Wikipédia).
Merci pour ces textes qui éclairent et l'autorité et le débat qu'elle suscite. Il est évident que l'autorité ne peut être strictement physique ; si je l'ai évoquée ce n'est que dans la mesure où le prestige se mêle au physique, ce qui relève alors de la psychologie.
- Le mystère de l'autorité reste son fondement.
- Son évidence tient dans son acceptation qui est sa condition de possibilité.
- Reste la question de sa nécessité (au sens où elle représenterait un avantage pour les hommes).
Je voulais à ce propos partir d'une autre citation qui dit " Si l'autorité n'existait pas le gouvernement des hommes, sous toutes ses formes, se résoudrait dans l'administration des choses." Mais je n'ai pas retrouvé son origine exacte ; il me semble me rappeler que c'est Ricoeur qui utilise cette citation en l'attribuant à Lénine...
(voir l'exemple de l'autorité de la loi qui est mise sous le boisseau avec la mécanisation des P.V. pour excès de vitesse : c'est dans l'air du temps il me semble.)
Sur le fondement de l'autorité, pour continuer le débat entre Arendt et Gadamer : Arendt écrit un peu plus bas que "La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune, ni sur un pouvoir de celui qui commande ; ce qu'ils ont en commun, c'est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d'avance leur place fixée".
Quant à Gadamer, il considère pour sa part que : "Son fondement véritable [à l'autorité du supérieur hiérarchique] est ici aussi un acte de liberté et de raison ; laquelle confère fondamentalement une certaine autorité au supérieur, pour autant qu'il voit les choses de plus haut, ou parce qu'il est plus expert, donc, ici aussi, parce qu'il en sait davantage. Ainsi la reconnaissance de l'autorité est toujours liée à l'idée que ce que dit l'autorité n'est pas arbitraire ni irrationnel, mais peut être compris dans son principe".
A mon avis, Gadamer se trompe. Le fondement de l'autorité ne réside pas essentiellement dans une reconnaissance de la supériorité de l'autre (notamment sur un plan intellectuel), mais est dans la plupart des cas le fait d'un statut social auquel est attaché une forme d'autorité.
Retenons que notre nouveau président est plutôt un adepte de la conception "gadamérienne" de l'autorité.
Bizarre, comme c'est bizarre.
Bizarre, cette interprétation physique de ce "livre" qui est en réalité un opuscule où la préface prend autant de place que la thèse et où Kojève laisse à un lecteur le soin d'en développer l'épistémologie.
Et pourtant, quelle puissance... Plus fort que Dumezil avec ses trois pans divin. IL y ajoute un quatrième: le rapport à l'éternité, c'est à dire le juge. Ca marche même en maths, le raisonnement à la limite (on tend vers l'infini...)
Bizarre, car il y explique les trois formes d'autorité, qui sont en fait trois bonnes raisons de l'accepter et qui la créent, en creux. La physique (pas plus que les maths) n'y sont évoqués.
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