Saturday, May 12, 2007

Citation du 13 mai 2007

Le plus dur quand il faut finir, est de commencer.

J.M. Laclavetine - Lettre de rupture

Comment rompre (1) ? Comment écrire la lettre de rupture qui va conduire quelqu’un - qui ne s’y attend pas - de l’amour au désespoir de l’abandon ?

Voici un modèle qui peut servir de base de réflexion.

Paris, le 6 mars 1855

Madame,
J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois, chez moi.
Je n’y étais pas. Et dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part, pourrait vous attirer de la mienne, le savoir vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais.
J’ai l’honneur de vous saluer.

G.F.
(Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet)

Pauvre Louise… Y a-t-il des êtres plus mufles que les écrivains ? (2)

Pourtant il faut finir… Et il faut que cette fin soit rapide, définitive, radicale.

Rapide : entendez qu’elle devrait surgir dans l’instant et trancher comme le couperet de la guillotine. C’est ce que fait Flaubert ici : la rupture à la quelle Louise se heurte a déjà eu lieu. Son entêtement à la refuser n’y change rien. La porte est fermée il n’y a plus personne derrière. Murée. S’il est vrai que la durée seule est perceptible par l’homme, alors cette durée est réduite ici à rien du tout, parce qu’elle est décrite comme contractée dans un instant, qui appartient déjà au passé.

Définitive : non seulement la rupture a déjà eu lieu, mais elle engage aussi l’avenir : « je n’y serai jamais ». Inutile d’espérer : la rupture est une rupture dans le temps. L’avant et l’après sont séparés : la Parque a tranché le fil du temps.

Radicale : plus rien de l’amour passé ne subsiste ; même une amitié résiduelle n’a aucune chance de survivre. Louise, la « Chère Muse aux beaux seins blancs » s’appelle «Madame » ; au lieu de recevoir « mille baisers sur les yeux et sous le col », elle n’a plus droit qu’à « J’ai l’honneur de vous saluer ». La signature « Ton Monstre », « Ton Gustave », « Ton G. », est devenue G.F. On ne peut descendre plus bas.

- Dites-moi, comment faites vous pour rompre, vous les jeunes ? Par téléphone ? Par SMS ? Par mail ? De vive voix ? Ou bien comme Flaubert par courrier ?

… ou alors vous le lui chantez ?

(1) Sur la comparaison entre la rupture amoureuse et la rupture politique, voir le post du 18 septembre 2006

(2) Ne nous apitoyons pas trop néanmoins : Louise Colet aussi était écrivain.

4 comments:

Anonymous said...

Je pense sincérement aussi qu'il faut entendre cette citation comme "Comment pourrais-je commencer ceci ou cela quand je sais comment cela va finir".

C'est bien parce que nous nous basons continuellement sur une expérience qui ne cesse de s'alimenter jusqu'a notre mort que nous portons des jugements de valeurs, des calculs, des prévisions ou encore que nous nourrissons des mythes au sujet du futur, de notre futur.

Il est la, l'ingrédient miracle de l'incertitude qui lui confére cette proportion tentaculaire. L'incertitude qui, nous le savons du moins depuis Crozier et ses compères, est un déterminant du pouvoir. Si je maitrise l'incertitude je possède mécaniquement du pouvoir, vis à vis de mon environnement mais aussi vis à vis d'autrui.

Le pouvoir donc, puisqu'il découle de l'incertitude, est infiniment lié au risque. Le risque est cette part d'action que nous menons ou ne menons pas dans une zone incertaine. La simple expression "La chnce sourit aux audacieux" n'est-elle pas simplement l'incarnation vivante d'un auyre lieu commun : "Aide toi, le ciel t'aidera".

Où mène cette démonstration au final ? Simple. Si je veux réaliser une action, je dois faire le choix d'avancer dans une zone plus ou moins certaine (la totale maitrise de l'incertitude étant un leurre à mon sens). Donc selon mon aversion au risque je vais effectuer plus ou moins consciemment des actions me menant à réaliser un objectifs. Si le risque encouru pour atteindre cet objectif est trop grand pour moi, je vais perdre le pouvoir de commencer.

Finir quelque chose, c'est avant tout pouvoir commencer cette chose.

En outre, aprés relecture de la citation je pense mon analyse passablement erronée :'/ (toujours bien analyser les termes du sujet hein ...). Mais je n'ai pas à coeur de supprimer ma démonstration.

Lucius

Anonymous said...

Pour répondre à la question (à 23ans je me considère comme jeune :D), j'avoue avoir deja rompu par sms. La lettre m'a plus servi à transmettre des pensées plus ou moins douces, amères et violentes au commencement (ou à l'absence de commencement ...).

Le téléphone me répugne et le mail est encore plus impersonnel que le sms (si tenté que ca soit possible).

En chantant ... je n'ai malheureusement pas le talent de Gainsbourg :p

Jean-Pierre Hamel said...

Beaucoup de choses dans ce commentaire. J’en relève quelques unes.
- vous lisez la citation proposée dans un tout autre sens que celui que j’avais choisi : je soulignais l’idée qu’en finir avec quelqu’un supposait le courage de l’affrontement ; vous insistez sur le fait qu’entre commencer une action et la finir s’étend toute l’incertitude de la vie. J’apprécie tout à fait cette lecture, qui confirme si c’était encore nécessaire, que le texte (= la citation) n’a de sens que par son contexte. Ici le contexte c’est nous qui le proposons.
- Vous interprétation me paraît tout à fait bergsonienne : l’avenir n’existe pas puisque c’est notre création. Il reste donc incertain y compris dans notre représentation, parce que justement nous ne pouvons nous représenter l’avenir dans la mesure où il dépend de notre invention (ou de celle d’autrui) : on ne se représente pas ce qui n’existe pas. Vous qui avez 23 ans (mes félicitations), est-ce que vous vous représentez à … disons 53 ans ? On n’imagine pas l’avenir : on le fait.
- Je ne connais pas la thèse de Crozier à la quelle vous faites référence, mais je l’interprète ainsi : ce qui est prévisible, c’est ce qui est mécanique, physiquement déterminé. Avoir du pouvoir, c’est régner sur un univers clos, où rien n’arrive que le prévisible, c’est-à-dire ce qui est déterminé par le jeu des rapports de force. Ajoutons : avoir du pouvoir, c’est aussi réduire à néant l’incertitude des autres (c’est à dire leur liberté) par l’imposition du pouvoir de la force.
- Sur votre conclusion : la difficulté de commencer proportionnelle à l’incertitude de l’action : d’accord avec vous, en précisant donc qu’il ne s’agit pas de la peur de l’inconnu, et que la difficulté de l’effort à fournir est fonction de l’originalité de l’action entreprise.

Anonymous said...

- Pour le premier point, c'est tout à fait cela.

- Pour le second point, je ne connais pas Bergson mais la description que vous en faite semble en effet correspondre à ce que j'ai développé.

- Pour le 3eme point, Crozier est le père des thèories bureaucratique en économie mais bien plus encore en sociologie des organisation et plus généralement il est un auteur qui s'inscrit dans la théorie managériale.

Selon lui, chaque organisation laisse une part d'incertitude du fait de relation entre les hommes. La connaissance de tout à tout instant est impossible dans la mesure ou chaque personne dans l'organisation à un but propre, distinctif du but de l'entreprise (on pourra généraliser à : L'intérêt général). Il y a donc mécaniquement en tout lieu ou l'organisation existe, des zones d'incertitude liées aux intérêts.

Evidemment Crozier se place dans une économie basé sur la connaissance ou d'autres théories viennent s'imbriquer (théorie de l'agence de Jensen, Ross et Meckling / Théorie de la rationnalité limité de Simon). Pour comprendre la démarche il faudrait tout expliquer, ce qui serait assez fastidieux sur un blog avouons le (il faudrait aussi reprendre les théories néo-classique dont le rejet est la base des théories sus-citées) :p

Je vais essayer de simplifier. Crozier ne pense pas que le pouvoir ne se manifeste que dans un univers clos ou tout est certain. Le pouvoir se manifeste justement sur autrui dans un univers incertain. Ainsi il explique que dans une organisation il y a une hiérarchie de pouvoir formel/officiel et une hiérarchie informelle, basé sur l'incertitude. Ainsi le simple ouvrier réparateur de machine devient plus important que le cadre supérieur en cas de panne de la chaine de montage. Sans le savoir de cet ouvrier, la chaine de montage ne redémarre pas et l'entreprise entière est immobilisé. C'est un exemple maladroit car il ne couvre pas l'ensemble des relations qui elles aussi sont informelles dans l'organisation (nous ne nous contentons pas de juste effectuer notre travail, nous créons aussi des relations sociales).

Avoir du pouvoir, c'est donc au sens de Crozier, posséder des certitudes sur les zones d'incertitudes des autres.

- Pour la conclusion c'est en effet ca. Je n'atteins pas votre clarté d'expression mais j'ai été compris ^^