Thursday, May 03, 2007

Citation du 4 mai 2007

Avec vous, tout est possible, même le pire.

Ségolène Royal - Débat télévisé du 2 mai 2007

Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible

David Rousset - Les jours de notre mort - cité par H. Arendt - Les origines du totalitarisme

- Nicolas, es-tu capable du pire ?

Légèreté des hommes - femmes - politiques… Parler du pire - pire, accuser l’autre d’être le pire - comme si on savait ce que c’était, comme si on pouvait manier le mal absolu comme ça, comme on manie la sonde pour mesurer les abysses océaniques…

David Rousset écrivit cette phrase dans un ouvrage qui raconte sa « vie » en camp de concentration ; elle vise l’ignorance du public, grâce à la quelle les nazis ont pu perpétrer leurs crimes, ignorance qui est demeurée jusqu’à ce jour incompréhensible, au point qu’on la soupçonne de cacher en réalité une complicité monstrueuse. La réponse de Rousset, est qu’on ne peut pas imaginer les horreurs dont les « pires » des hommes ont été capables.

Pauvre Nicolas, l’aligner ainsi sur les bourreaux nazis… Comme tout ce qui est excessif, c’est insignifiant. Pourtant, la thèse d’Hannah Arendt est, comme on le sait, que chacun de nous peut devenir un bourreau : ce n’est qu’un affaire d’opportunité. Elle développe cette idée dans son reportage sur le procès Eichmann (Eichmann à Jérusalem), c’est la célèbre thèse sur la banalité du mal (1). Si les circonstance s’y prêtent et si le pouvoir lui en est accorée, n’importe qui peut devenir un bourreau (2).

Alors, à supposer que nous soyons des bourreaux en puissance, pourquoi cette ignorance ? La réponse appelle une investigation psychanalytique : c’est un véritable déni de la réalité traumatisante ; et c’est en même temps la dénégation de notre désir sadique. Ça consiste à jouir de son désir en le décrivant complaisamment attribué aux autres, alors qu’on le condamne pour soi-même. Le pire, c’est vous.

Bon, ça va, on a compris. Si on veut qu’il n’y ait pas de bourreaux, il faut éviter que quiconque ait le pouvoir de l’être. Seulement tout le monde a du pouvoir, c’est ce que Michel Foucault avait expliqué en son temps.

L’île déserte, voilà notre seule chance.

(1) Voir message du 30 janvier 2006

(2) Voir aussi mon Post sur l’expérience Zimbardo, 24 février 2006

2 comments:

Anonymous said...

Sur la banalisation du mal et le déni de la réalité, il faut lire le livre de Christophe Dejours : Souffrance en France. La banalisation de l'injustice sociale. Il reprend la réflexion d'Arendt, mais pour donner une signification nouvelle à l'expression "banalité du mal". Pour Arendt, il s'agit de souligner la banalité de la personnalité d'Eichmann, qu'il ne s'agit pas d'un monstre, et qu'un homme "normal" peut effectivement commettre les pires atrocités. Dejours montre comment, par exemple, dans le monde du travail, le mal devient "banal", au sens où l'on devient indifférent à ce dernier.

Jean-Pierre Hamel said...

Très juste : la banalité par l'indifférence, l'indifférence comme banalisation.
Au fond, le mal, c'est comme l'alcool: la première chose qu'on perd en buvant, c'est la conscience des limites à ne pas franchir. Le mal, c'est pareil. On s'endurcit au point de dénoncer ses voisins juifs ou de pourchasser ceux qui ne sont pas de notre "race" (et je prends le mot dans son sens dialectal-banlieue)