Semaine épouvantable: pas un seul sondage d'opinion. Tant pis, nous essaierons de deviner tout seuls nos propres intentions.
André Frossard - Les Pensées
Quand est-ce qu’il écrivait ça, Frossard ? Il y a longtemps, sûrement, parce que ces temps-ci, ce n’est pas le sondage d’opinion qui manque..
Notez que s’il y a tant de sondages, c’est qu’il y a des gens pour les acheter. Et qui les achète ? Les firmes de lessives, les partis politiques, les médias ? Oui, mais aussi et surtout nous mêmes qui voulons connaître nos propres intentions. Et c’est là que le ridicule apparaît : pourquoi faudrait-il qu’on nous dise ce que nous savons déjà ?
Bien entendu, l’idée est que l’intention en question est celle d’une catégorie d’individus, et non de l’individu isolé. Et alors, pourquoi moi, individu isolé voudrais-je savoir ce que pensent tous ensemble, les individus formant le groupe dont je fais partie ? Pour savoir si je pense comme eux, ou pour savoir ce qu’il faut penser ? Le sondage d’opinion est-il indicatif ou normatif ?
En principe, si le sondage est fait scientifiquement, il ne devrait être qu’indicatif : il devrait me dire : « voilà ce que tu penses en tant que tu fais partie de ce groupe ». Mais, comme l’unanimité n’existe pas, le sondage donne un pourcentage, me permettant de me situer. Bien entendu je ne vais pas dire « A 45%, je vote pour Ségolène Royal » ; ce que je veux, c’est, compte tenu de mon choix, savoir si je suis dans la majorité ou dans la minorité.
Et c’est là que le côté normatif du sondage apparaît : supposons que je sois ultra minoritaire. Ça peut m’être indifférent, comme ça peut me gêner - ou me stimuler. Me différencier des autres, c’est me mettre en position de faiblesse - ou autre, en tout cas ce n’est pas neutre. Tout se passe comme si le sondage d’opinion pour un scrutin faisait de celui-ci un scrutin à main levée et non à bulletin secret. J’entends bien que le scrutin à bulletin secret empêche de divulguer la nature de mon vote, alors que la main levée la révèle, et que ça n’arrive pas avec les sondages. Mais surtout le scrutin secret m’empêche de voter en fonction du comportement des autres. Nous avons tous vu dans des AG syndicales ou autres, ces bras hésitants qui se lèvent ou qui se baissent lorsque tous les autres l’ont déjà fait. C’est d’ailleurs pour cela que la publication des sondages a été interdite dans la proximité immédiate des élections.
Reste que ce n’est pas parce que la boussole me dit où est le nord que ça m’empêche de marcher vers le sud.
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