Friday, May 18, 2007

Citation du 19 mai 2007

Le croyant qui ne macère pas sa chair par une abstinence appropriée, qui la nourrit de vices et de concupiscences, assimile la graisse des péchés, et, en face de Dieu, il devient un rebut putride.

Hildegard von Bingen - Le Livre des oeuvres divines

Le racisme anti-gros ne date pas d’hier. La phobie de la graisse n’est pas nouvelle en effet : Hildegarde a vécu au XIIème siècle, époque qui n’est pas spécialement réputée pour ses régimes diététiques. Et pourtant, voici que la nourriture, la graisse, la putréfaction, apparaissent déjà comme des symboles du mal

L’un des aspects de cette condamnation porte donc sur la graisse : la mauvaise graisse comme on dirait aujourd’hui, qui est le symbole du péché, et du vice.

Les gros, les obèses, voilà des termes péjoratifs : pourquoi condamner ainsi le « surpoids » ? Est-ce parce qu’il devient un handicap pour ceux qui en sont porteur ? Non, bien sûr : personne n’aurait l’idée d’ajouter au malheur d’un sourd ou d’un aveugle en lui reprochant son infirmité. Non seulement l’obèse est considéré comme responsable de son obésité, mais encore c’est par une pratique pernicieuse, par un amour déréglé de la nourriture, par une gourmandise vicieuse assortie d’une absence totale de volonté, qu’il provoque et entretient ce dérèglement. Il est jugé aussi sévèrement que l’alcoolique, et même plus peut-être, parce qu’on pense que l’alcoolique est victime d’une dépendance - une addiction comme on dit aujourd’hui - qui finit par le rendre irresponsable.

Ce que pointe Hildegarde, c’est ceci : la graisse est le symbole du péché, parce que, comme lui, elle prolifère sur le corps, lorsque le désir parasite ses fonctions vitales et les détoure vers la jouissance.

Au fond, c’est peut-être cela qui nous frappe : il n’y a pas besoin de tabou alimentaire (1), interdisant la consommation de tel ou tel type de viande ou de nourriture. Ce qui est condamné ici, c’est le détournement de la satisfaction du besoin vers la jouissance du désir.

C’est exactement ce que disait Freud à propose de la libido : elle se développe par étayage (voir ceci) sur une fonction biologique : voyez le petit enfant qui tête sa mère. Une fois rassasié, il ne tête plus mais il suçote : ceci ne permet plus de se nourrir, mais il se donne du plaisir. La libido (orale) se développe par parasitage de la nutrition.

Alors suffirait-il de sucer sa tablette de chocolat ? Non, parce que si on échappe à la graisse, on n’échappe pas au péché.

(1) Voir Post du 24 septembre 2006

5 comments:

Djabx said...

Bonjour,
Je me demandais, si la citation que vous présentez aujourd'hui pouvait avoir un autre sens que celui que vous voulez lui donner.

En effet, lors de la première lecture de la citation, il m'a semblé que Hildegard utilisait une métaphore pour nous parler des péchés et non pas nous parler d'un régime alimentaire (qui ici dans mon interprétation ne sert que d'image).
Alors vous me direz que justement cette image alimente votre propos, puisque Hildegard représente le péché par la graisse.

Toutefois, il me semble que le message qui réside dans cette citation, c'est que quelques soit nos péchés, ils s'inscrivent dans nos chairs, et qu'à moins de faire des "régimes" d'abstinence appropriées, si on se présente à dieu, ils apparaissent à lui aussi simplement qu'un surplus de poids.

Anonymous said...

Je cite notre ami :

"Ce qui est condamné ici, c’est le détournement de la satisfaction du besoin vers la jouissance du désir."

C'est sa conclusion si j'ai bien lu. Sinon, aprés tout, la gourmandise est un des 7 pêchés capitaux :)

Djabx said...

Comme quoi je devrai mieux relire les posts 2, 3 fois de plus avant de poster...

Merci Lucius.

Jean-Pierre Hamel said...

"Sinon, après tout, la gourmandise est un des 7 pêchés capitaux" : exact et on se demande si ce n'est pas le tout premier d'entre eux.

Anonymous said...

Et quelle perversion délicieuse :)