Avant donc d’examiner l’acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d’examiner l’acte par le quel un peuple est un peuple.
Rousseau - Du Contrat social - I, 5
Une démocratie, c’est quand le Roi est roi à 53,86%. Oui, mais les autres, les 46,14% qui n’ont pas choisi ce roi, qu’est-ce qu’ils font ?
Une fois n’est pas coutume, je ne résiste pas au plaisir de citer presque in extenso le texte où Rousseau pose - et résout - le problème :
«En effet, s’il n’y avait point de convention antérieure, où serait, à moins que l’élection ne fût unanime, l’obligation pour le petit nombre de se soumettre au choix du grand, et d’où cent qui veulent un maître ont-ils le droit de voter pour dix qui n’en veulent point ? La loi de la pluralité des suffrages est elle-même un établissement de convention et suppose, au moins une fois, l’unanimité. »
Vous n’avez pas voté pour Nicolas Sarkozy, et pourtant vous devrez obéir à la politique qu’il va impulser. On dira : « Vous avez été battu, c’est la règle du jeu démocratique, etc, etc… »
Non, mille fois non. La démocratie n’est pas un jeu, il ne s’agit pas d’un match de foot, même si on défile dans les rues en braillant « On a gagné ». C’est un peu plus compliqué.
La démocratie suppose l’unanimité. Et l’unanimité, c’est dans l’adhésion au peuple, autrement dit à la citoyenneté. Voilà ce que dit Rousseau. Si vous n’acceptez pas l’élection d’hier, vous vous retirez de l’adhésion qui fait de vous un français. Demandez l’asile politique au Lichtenstein, où ailleurs, mais ne soyez plus français.
Je vous entends d’ici ! Encore un qui a mordu au nationalisme sarkozyen (La France, aime-la…), il n’a qu’à entrer sans le Service de Citoyens Volontaires (1).
Hé bien non, je me borne à tirer les conséquences implacables de l’idée de démocratie. Si la règle de la majorité n’est pas naturelle c’est qu’il ne s’agit pas d’un rapport de force, et qu’on ne compte pas les voix pour savoir quelle est la force qui l’emporte sur l’autre. Il s’agit simplement de dire que l’on s’engage à l’avance à se reconnaître dans le choix fait par le plus grand nombre. Là où il n’y a pas de peuple, il n’y a pas de démocratie.
Alors, maintenant, pourquoi faut-il obéir à la volonté de celui qu’on n’a point élu ? Locke disait que si le peuple était un corps physique, il faudrait bien qu’il se meuve d’une pièce, il obéirait à sa volonté tant qu’il peut marcher, ou ses jambes, lorsqu’elles ne peuvent plus le porter.
Le véritable problème, c’est de savoir si on doit élire un Roi.
(1) Ah, vous ne connaissez pas ? Il serait temps de vous y mettre : Voyez ceci
6 comments:
Reste aussi posée la question de la volonté générale. Comme l'écrit Rousseau :
"Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt commun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale."
Or, on peut se demander ce qui motive les électeurs lors du vote : l'intérêt commun, ou l'intérêt privé ?
Eh bien pour ma part, j'ai le sentiment d'avoir voté dans l'intérêt commun.
Parce qu'avec ma fiche de paie, je me suis entendue dire qu'en tout logique je devrais être dans les 53%.
Mais aussi j'ai voté dans un intérêt privé,j'ai pensé à l'avenir de mes enfants et à ce que je souhaite pour eux.
Ah... La volonté générale... C'est sans doute en pensant à elle que Rousseau a écrit quelque part que le Contrat Social était un ouvrage qui ne vaudrait que pour un peuple d'anges.
Il y aussi le problème de l'écart entre le nombre de citoyens (au moins potentiels) et le nombre de suffrages exprimés. Aucun prédisent de la République n'a jamais réussi à être élu avec plus de la moitié des citoyens francais. Quand Nicolas Sarkozy recueille 19 millions de voix, il faut rappeler qu'il y a plus de 64 millions de français. Les moins de 20 ans représentant un quart de la population, cela doit donc nous faire plus de 50 millions de français en âge de voter.
Cet écart ne constitue pas un réel problème dans la mesure où les règles démocratiques sont acceptées. Mais qu'en est-il quand une partie non négligeable de la population ne se reconnaît absolument pas dans le président élu ?
Le danger, c'est que la loi de la majorité ne soit plus perçue comme légitime, au nom de considérations supérieures (d'ordre moral par exemple).
Bigre, je ne connaissais pas le Service de Citoyens Volontaires et franchement ... ça ne me dit rien qui vaille !
Pour rebondir sur ce qu'a écrit Pierre Jean il y effectivement danger lorsque la loi de la majorité n'est plus perçue comme légitime. Mais outre certaines considérations morales il y a aussi l'image même que l'élu représente, ou qu'il véhicule qui peut le faire rejeter d'une partie de la population.
Une autre citation :
"La Quotient Intellectuel d'une foule est proportionnellement inverse au nombre de personnes la composant".
Terry Pratchett
A méditer lorsqu'on parle d'éléctions et de majorité.
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