N'accepte le divin qu'autant qu'il est humain
Victor Hugo — La Légende des siècles - Nouvelle série XXVII (À l’Homme)
Voilà une sentence dont on peut tirer beaucoup de choses. Encore une de ces phrases sibyllines qui sont comme les taches d’encre du Rorschach : tout ce qu’elles nous apprennent était en nous. Reste donc à lire le poème de Hugo, chose que je ne saurais trop vous inciter à faire.
On s’aperçoit alors qu’on prend en contre sens ce vers en croyant qu’il est à l’impératif : en réalité Hugo a écrit : « C'est parce que mon cœur, qui cherche son chemin, /N'accepte le divin qu'autant qu'il est humain ». C’est donc un indicatif 3ème personne et non un impératif 2ème personne. On est dans le constat et non dans l’injonction.
Pour ma part, je considère que Hugo prend une position très éloignée du romantisme tel qu’on se l’imagine. Un romantisme qui dirait : ce monde est ouvert sur un abîme effrayant parce que Dieu - un Dieu terrible - est au fond de toute chose. Le romantisme est alors une sorte de vertige métaphysique : ce ne sont pas les Dieux qui sont parmi nous, mais nous qui ressentons en frissonnant leur transcendance.
Vous l’avez deviné : Hugo n’évoque cette perspective que pour la révoquer. Dieu existe, mais c’est un Dieu caché (1). Seulement, au lieu de s’en lamenter, Hugo s’en réjouit : plus la science avance, plus Dieu recule dans les ténèbres. C'est une sainte loi que ce recul profond constate le poète. Ne reste de Dieu que ce qui nous relie les uns aux autres ? Peut-être, voilà en tout cas un retour sur l’étymologie admise de la religion (religere = relier).
Mais en réalité la thèse de Hugo est plus intéressante : le Dieu terrible dont j’estime qu’il vaut mieux qu’il se cache, en réalité il existe au fond de moi ; les terreurs qu’il m’inspire sont les fantasmes qui agitent mon cœur. Si Dieu est la projection de l’humain, comme l’affirmait Feuerbach, c’est moins dans les perfections que je lui attribue que dans la transcendance ténébreuse dont il me menace.
Avouez que c’est un peu plus excitant comme idée.
(1) C’est un thème pascalien sur le quel on aura l’occasion de revenir.
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