Ceux qui se sont aimés pendant leur vie et qui se font inhumer l’un à côté de l’autre ne sont peut-être pas si fous qu’on pense. Peut-être leurs cendres se pressent, se mêlent et s’unissent. »
Diderot - Lettre à Sophie Volland (15 octobre 1759)
La seule différence que je connaisse entre la mort et la vie c’est qu’à présent vous vivez en masse et que dissous, épars en molécules dans vingt ans vous vivrez en détail.
Diderot - Idem
Voilà quelqu’un qui nous promet de vivre éternellement, et de jouir de même. Plus généreux que les carabins qui n’accordent à Saint Eloi la puissance sexuelle que durant la vie (1), Diderot nous la promet jusqu’après la mort. Avouez que voilà une lecture réconfortante.
Plus sérieusement, disons aussi que nous sommes au plus près de ce qu’Elisabeth de Fontenay appelait « le matérialisme enchanté » de Denis Diderot, que je comprends ici comme étant un matérialisme vitaliste. Alors que pour Descartes, la vie est issue de la matière inanimée, pour Diderot, c’est la matière dite inanimée qui résulte de la matière animée.
Nous sommes habitués à parler du matérialisme comme si ça allait de soi. « Le matérialisme est une doctrine affirmant que la matière est à l’origine de tout ce qui existe, y compris la pensée et la conscience ». Et basta !
Bachelard ironisait sur ce matérialisme philosophique qui ignorait tout de la matière des physiciens. La matière est énergie, et les philosophes en font encore usage comme si le mécanisme était d’actualité : forme et impénétrabilité, occupation d’un lieu, tels sont les attributs de la matière. Voilà selon lui les âneries sur la matière que répèteraient les philosophes matérialistes.
Comme on le voit, Diderot ne rentre pas dans cette classification. La molécule est l’unité constitutive de la matière. Et elle est vivante ! Ou plutôt, nulle mutation, nulle rupture n’existe entre la matière inanimée, la matière animée, et même la pensée. Tout peut devenir vie, tout peut se mettre à penser (même l’animal, même la poire ou le raisin - cf. la même lettre) : parce que tout est vie.
La mort n’est pas l’anéantissement de la vie, elle n’en est qu’une transformation : disons, paraphrasant Bergson à propos du désordre (2) : « la mort, n’est qu'une vie différente ».
Une vie « en détail ».
(1) Pour ceux qui sont à court de folklore paillard : la chanson
(2) Voir Post du 17 janvier 2006
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