Sunday, January 10, 2010

Citation du 11 janvier 2010

La lecture est au seuil de la vie spirituelle ; elle peut nous y introduire : elle ne la constitue pas.

Marcel Proust – Sur la lecture

Pourquoi lisons-nous ? Pour le plaisir ? Pour passer un temps qui sans cela s’étirerait dans un morne ennui ? Pour rencontrer les plus grands esprits du passé ? Pour le bonheur de sentir que notre intelligence – ou notre sensibilité – se met en mouvement ?

Peut-être que la lecture nous apporte tout cela. Mais ce n’est pas cela qui importe à Proust.

Il nous demande non pas « Qu’est-ce que la lecture vous apporte ? », mais plutôt « Quand est-ce que la lecture vous apporte quelque chose ? »

Et la réponse est : la lecture commence à nous apporter quelque chose non pas quand nous lisons, mais bien quand nous refermons le livre – ou quand nos yeux quittent la page et que notre regard se perd dans le lointain.

Il est vrai que cela ne correspond pas à toutes les lectures. Les livres qui nous apportent du plaisir sont des livres que nous dévorons parce que c’est à ce moment là principalement qu’ils sont jouissifs. Roland Barthes expliquait dans Le plaisir du texte comment le lecteur jouisseur lit en sautant les pages pour raccorder entre eux les passages dont il se délecte.

Egalement toute rêverie qui oublie la lecture en cours n’en constitue pas nécessairement un prolongement.

Proust parle exclusivement de la vie spirituelle, sans nous dire si celle-ci relève de la spéculation ou de l’imagination. Reste qu’elle est une forme supérieure du fonctionnement de l’esprit, et que, si elle se développe au contact de la lecture, à son occasion, elle exclut l’activité de la lecture parce qu’elle requiert la totalité de la capacité cérébrale.

Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas d’évoquer l’effort de la lecture, comme lorsque quelqu’un vous dit qu’il ne peut en même temps lire – à haute voix par exemple – et comprendre le texte. Non. C’est plutôt que la pensée, pour être créatrice et authentique, doit se déprendre du fonctionnement de celle de l’auteur dont on lit le livre.

En tout cas, l’important dans la lecture, c’est ce qu’elle suscite quand on a refermé le livre : c’est là qu’on peut vraiment l’apprécier.

2 comments:

ilchar said...

Daniel Pennac peut nous aider à comprendre la pensée de Proust :
<< La vertu paradoxale de la lecture est de nous abstraire du monde pour lui trouver un sens.>>
Cordialement.ILCHAR

Jean-Pierre Hamel said...

- « Nous abstraire du monde pour lui trouver un sens » : pourquoi pas en effet. Il s’agirait alors d’un détour par la lecture qui nous arrache au donné immédiat pour nous y reconduire, mais cette fois selon un certain point de vue générateur de sens.
Puisqu’on en est là, j’en profite pour revenir sur l’idée qu’il faut se déprendre non seulement du monde, mais aussi du livre, pour trouver un point de rencontre à mi chemin.
L’exemple de l’homme qui reste dans sa lecture et qui prétend que le monde se trouve entre les pages de son livre, c’est Don Quichotte.
La vie spirituelle est selon moi une forme de vie où la création (intellectuelle, artistique, etc…) est absolument dominante. Lire, oui, mais lire pour inventer. Le reste c’est de « l’entertainment ».
Bonne journée