Suzanne – Tu penses que ma dot / Est le fruit de tes seuls mérites? Figaro : Je me flattais en effet de le croire. Suzanne : Ce qu’il veut de moi : / Certaine demi-heure…/ Un ancien droit du seigneur…
Mozart / Da Ponte – Les noces de Figaro (Acte I, Scène 1)
Petite histoire des rumeurs et grande histoire des révolutions : le droit de cuissage du seigneur, mythe colporté par des récits d’origine incertaine, repris par Beaumarchais dans le Mariage de Figaro (ici évoqué à travers l’opéra de Mozart) : le comte Almaviva pousse Figaro à épouser Suzanne pour coucher avec elle le soir de ses noces, exerçant ainsi son droit de cuissage – droit qu’il venait pourtant de supprimer… Bizarre inconséquence, mais il n’y aurait pas de théâtre sans coup de théâtre.
Rappelons que Voltaire dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations accrédite lui-même cet insupportable pouvoir (1).
Insupportable pouvoir… Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : le Seigneur aurait dans ce cas un pouvoir tyrannique et exorbitant : celui de déflorer toutes les filles de son domaine, exigeant ainsi une propriété sur ce qu’il y a de plus précieux dans une femme. On a fait des révolutions pour moins que ça…
Nous y voilà : le droit de cuissage, aussi inique - aussi fantasmatique - qu’il soit, est un révélateur véridique de ce qu’était la femme dans ces temps lointains (sic) : une virginité – plus prosaïquement un hymen. Combien de jeunes femmes ont-elle eu leur vie ravagée pour être arrivées au mariage déflorée (mot que je n’écris que pour en faire ressentir l’horreur).
On rappellera alors l’extraordinaire courage de Buffon qui a affirmé que l’hymen n’existait pas – ou plutôt : qu’il se développe au cours de la croissance de la fillette, et qu’il est susceptible de repousser après avoir été déchiré (lire ici).
Mais voilà : Buffon s’était trompé, l’hymen ne repousse pas… Et il y a encore aujourd’hui des cliniques où on les reconstitue … Et il y a sans doute des comtes Almaviva beaucoup moins scrupuleux que lui… Et il y a des femmes vitriolées pour être arrivées dévirginées au soir de leur noce…
Et il y a encore des Révolutions à faire.
(1) Vous avez vu, aux douzième et treizième siècles, les moines devenir princes, ainsi que les évêques ; ces évêques et ces moines partout à la tête du gouvernement féodal. Ils établirent des coutumes ridicules, aussi grossières que leurs mœurs ; le droit exclusif d'entrer dans une église avec un faucon sur le poing, le droit de faire battre les eaux des étangs par les cultivateurs pour empêcher les grenouilles d'interrompre le baron, le moine, ou le prélat ; le droit de passer la première nuit avec les nouvelles mariées dans leurs domaines ; le droit de rançonner les marchands forains ; car alors il n'y avait point d'autres marchands.
Voltaire – Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (p.148)
Lire le reste ici
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