[A propos de l’aveugle du Puisaux] : Si nous avons à vivre plus de plaisir que lui, convenez qu'il a bien moins de regret à mourir.
Diderot – Lettre sur les aveugles – Partie 1. (1)
Les maximes de la sagesse, où comptez-vous les trouver ? Dans la Bible ? Dans les œuvres sublimes des philosophes des temps anciens ? Ou bien chez les amuseurs d’aujourd’hui ?
Bien sûr ces derniers seront écartés du choix. Or, rappelez-vous le 25 juillet 2006, je citais sans trembler la chanson de Daniel Balavoine : J'veux mourir malheureux pour ne rien regretter
A quoi bon lire les philosophes après tout ? Si les chanteurs font la même chose, c’est une fatigue qu’on peut s’épargner.
Pourtant, ceux qui auront eu la curiosité de lire ce petit livre de Diderot jusqu’au bout sauront qu’il comporte quelque chose de plus : c’est une vision de la morale et de la religion tout à fait cohérente et décapante. D’ailleurs ce n’est pas une simple opinion sur la mort qui a conduit la censure à interdire le livre et à jeter son auteur dans un cachot du château de Vincennes (2)
Dans sa lettre sur les aveugles, Diderot évoque les conséquences de la cécité sur la moralité, le sens de la vie, etc… L’idée étant que la morale a pour fondement la réalité matérielle de l’existence et non des valeurs transcendantes ou sacrées. Ou si vous préférez, l’une n’a pas plus d’autorité que les autres.
Le sens de la vie, la peur de la mort sont ainsi pour lui (= l’aveugle) quelque chose de radicalement différents. Au fond il n’est pas sûr qu’il soit tant à plaindre.
C’est du moins la thèse de Diderot.
(1) Voici un extrait du texte :
Il [= l’aveugle du Puisaux] eut dans sa jeunesse une querelle avec un de ses frères, qui s'en trouva fort mal. Impatienté des propos désagréables qu'il en essuyait, il saisit le premier objet qui lui tomba sous la main, le lui lança, l'atteignit au milieu du front, et l'étendit par terre.
Cette aventure et quelques autres le firent appeler à la police. Les signes extérieurs de la puissance qui nous affectent si vivement, n'en imposent point aux aveugles. Le nôtre comparut devant le magistrat comme devant son semblable. Les menaces ne l'intimidèrent point. « Que me ferez-vous ? dit-il à M. Hérault. - Je vous jetterai dans un cul de basse-fosse, lui répondit le magistrat. - Eh ! monsieur, lui répliqua l'aveugle, il y a vingt-cinq ans que j'y suis. » Quelle réponse, madame ! et quel texte pour un homme qui aime autant à moraliser que moi ! Nous sortons de la vie comme d'un spectacle enchanteur ; l'aveugle en sort ainsi que d'un cachot : si nous avons à vivre plus de plaisir que lui, convenez qu'il a bien moins de regret à mourir.
(2) L’amenant ainsi par ironie à vérifier l’exactitude du propos au quel justement notre citation fait allusion.
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