Saturday, January 23, 2010

Citation du 24 janvier 2010

[Dans] cette crise d’insurmontable angoisse (…), il s’agissait toujours d’une prise de conscience suraiguë, intolérable, de la fragilité du bonheur humain, du destin mortel de ce que les mortels appellent précisément « le bonheur », dont la nature est d’être toujours compromis.

Claude Lanzmann – Le lièvre de Patagonie (p.277-278)

Le bonheur est l’état dans le monde d’un être raisonnable, à qui, dans tout le cours de son existence, tout arrive suivant son souhait et sa volonté.

Kant - Critique de la raison pratique (Livre II, chapitre V, §V)

Il faut imaginer Sisyphe heureux.

Camus – Le mythe de Sisyphe (voir également ici)


La femme prise d’une crise d’insurmontable angoisse n’est autre que Simone de Beauvoir (alias le Castor (1)) lorsqu’elle reprend conscience que rien n’est acquis définitivement : Sartre mourra avant elle et Claude Lanzmann (son bien-aimé de l’époque) la quittera un jour – comme elle l’avait pourtant prévu dès le début de leur liaison… C’est qu’en fait, comme le souligne Kant, l’exigence de bonheur est intimement liée au souhait qu’il dure indéfiniment.

Je ne cherche pas aujourd’hui à philosopher sur le bonheur, accessible seulement dans l’illusion puisque dans l’existence humaine tout a une fin, mais plutôt sur l’impuissance de la raison même chez les philosophes à gouverner l’affectivité.

Déjà, Pascal ironisait sur le vertige du philosophe (voir ici) ; mais l’exemple du désespoir du Castor montre combien la lucidité du sage reste en-deça de sa vie.

A quoi sert la science qui nous dit que rien ne dure indéfiniment, que l’avenir n’est pas écrit sauf en ce qui concerne notre mort et celle de nos proches ? Si la seule certitude que nous ayons est celle de nos malheurs, cette certitude aide-t-elle à mieux vivre ? Les sanglots du Castor sont là pour nous le rappeler : le seul bonheur qui nous soit accessible est dans la révolte.

Car, comme le disait Camus, il faut imaginer Sisyphe heureux. (2)


(1) Ce surnom lui aurait été attribué par ses camarades de promotion – avant même qu’elle ne rencontre Sartre – parce qu’elle était une travailleuse acharnée, comme le sont les castors, et que cet animal se nomme en anglais beaver, qui sonne comme Beauvoir.

(2) Aucun commentaire ne remplacera jamais la lecture des textes essentiels – comme l’est celui-ci.

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