Saturday, January 30, 2010

Citation du 31 janvier 2010

La réaction du rabbin Sirat et celle du cardinal Lustiger, [refuant tous deux de visionner le film Shoah] se ressemblent étrangement : le mal n’existe pas.

Claude Lanzmann – Le lièvre de Patagonie, p. 530

Après notre récente observation sur le néant, encore une remarque sur le non-être : celui du mal.

Le refus d’admettre l’existence du mal absolu, s’exprimant par cette douleur intolérable engendrée par des documentaires comme Shoah (qui vient de repasser à la télévision), se justifierait par cette nécessité : préserver à tout prix – malgré l’intolérable évidence qui se déroule pendant 9 heures d’horloge dans ce film – l’idée que le mal n’existe pas.

Certains ont expliqué le refus de se trouver affronté aux crimes abominables de l’Holocauste par une dénégation, résultant de la culpabilité qu'on aurait d’éprouver un désir pervers de jouir du spectacle de la souffrance endurée par les victimes des SS.

Claude Lanzmann en fait un sentiment métaphysique.

- Que veut-on dire en affirmant que le mal n’existe pas ? Le mal – entendons le mal absolu, celui qui est à lui-même sa propre fin, pas un moyen pour autre chose, pas l’occasion d’une jouissance – n’est qu’une abstraction, une incohérence, un concept réunissant comme le disait Leibniz des prédicats qui sont en réalité incompossibles. Ou, si on préfère, songeons à Kant affirmant que le mal absolu est autant hors de la portée des humains que le bien absolu.

Mais on a aussi une autre lecture possible : le mal n’existerait pas, parce que les êtres absolument mauvais se détruiraient d’eux-mêmes, ils périraient victimes de leur propre méchanceté (1).

Mais cette hypothèse ne tient pas vraiment devant cette remarque de Kant dans son opuscule Projet de paix perpétuelle :

Le problème de la formation de l’Etat, pour autant que ce soit dur à entendre, n’est pourtant pas insoluble, même s’il s’agissait d’un peuple de démons (pourvu qu’ils aient l’intelligence) : « Ordonner une foule d’êtres raisonnables qui réclament tous d’un commun accord des lois générales en vue de leur conservation… » (2)

Alors, c’est clair : peut-être que le mal n’existe pas, mais les hommes mauvais, si.


(1) La thèse habituelle étant que Dieu a créé les êtres, l’existence est l’attribut de tout ce qui est. Le mal n’est donc qu’une destruction du bien (comme le néant, il ne peut être qu’un anéantissement).

(2) Kant – Projet de paix perpétuelle, 1er supplément, traduction Gibelin (Vrin). Lire la suite p.45

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