Citation du 23 février 2014

Quel bonheur y a-t-il dans le souvenir du bonheur ?

Julian Barnes – Quand tout est déjà arrivé (p.90)

Pour Barnes, dans ce récit autobiographique, tout est déjà arrivé : son épouse est morte, et plus rien de ce qu’il aimait et de ce qui faisait sa vie n’existe plus : ne restent que les souvenirs.

Quel bonheur y a-t-il dans le souvenir du bonheur ?

Cette question vient en contrepoint du titre du livre de Barnes : Quand tout est déjà arrivé… il ne reste plus que le souvenir du passé. Ce n’est plus que de ce souvenir que dépend notre bonheur.

Que valent les souvenirs ? Ou plutôt, que peuvent-ils ?

Pour répondre à cette question il ne sert pas à grand-chose d’être docteur en psychologie ou agrégé de philosophie. Les diplômes ne nous mettent à l’abri d'aucune incertitude dans ces domaines : à chacun de répondre, la différence de valeur entre les réponses venant non de leur orientation mais de leur épaisseur.

Si les souvenirs suffisent à nous rendre heureux, alors ils sont analogues à des fantasmes ou à des illusions – ils sont presque des délires dans la mesure où ils se substituent à la réalité en la masquant. Bref, ils nous dégradent en faisant de nous des rêveurs sans consistance.

Ajoutons que, si le souvenir du bonheur suffisait à nous rendre heureux, le premier bonheur vécu y suffirait. Le premier amour, par exemple, remplirait l’existence : plus rien à chercher, tout est déjà trouvé !

Il y a toutefois une différence bien nette entre le moment heureux et son souvenir : le bonheur, au moment où il est vécu peut n’être qu’un bref instant, mais il est toujours ouvert sur l’instant suivant. Une dernière nuit d’amour avant une séparation définitive, ça ne fait pas une nuit de bonheur mais une nuit tragique – à moins d’oublier le petit matin fatal dans les bras de la bien-aimée.

Par contre le souvenir de cet instant, même s’il envahit totalement notre conscience, est refermé sur lui-même : pour lui l’aventure de l’avenir n’existe pas. Pour le faire durer, on est obligé de se repasser le film.

Que peut donc nous donner le souvenir du bonheur ? Un refuge contre le malheur. C’est tout, mais ce n’est déjà pas si mal !