Chose étrange,
si la commune nature animale permet de faire de l’homme, tour à tour et selon
les besoins, un chimpanzé, un loup, ou une grouse d’Ecosse, on ne se préoccupe
nullement d’expliquer le loup par la grouse ni le chimpanzé par le loup. (…) Si
“l’homme est un loup pour l’homme”, le hareng pour autant n’est pas “un tigre
pour le hareng”.
Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir 1992
L’étonnement de Colette Guillaumin est amusant, mais il n’est pas sérieux. Parce qu’il est évident que, s’il n’y a pas de place dans le hareng pour loger un tigre, en revanche, il y a de la place dans l’homme pour y loger un loup.
La conséquence
est la suivante : alors que le hareng est de part en part un hareng – et
rien d’autre – l’homme n’est lui-même qu’à condition de pouvoir être aussi autre chose, comme un loup.
Tout l’intérêt
de cette citation est donc de savoir comment l’homme se débrouille pour avoir
de la place pour ça. Je veux dire : comment le loup et l’agneau se
retrouvent dans la même peau sans que l’un ne dévore l’autre ? Y aurait-il
quelque mystérieux traité d’armistice
entre eux ? A moins qu’une bascule fasse disparaitre l’un quand l’autre
apparait ?
Et puis aussi,
combien d’animaux vivent avec nous dans la même peau ? Un seul ? Mais
alors on risque de devenir loup-garou. Deux, tantôt loup tantôt agneau ?
Plus que ça ? Finalement, Noé au lieu de se fatiguer à fabriquer son
Arche aurait pu se contenter d’embarquer un couple d’humains, ils auraient
re-fabriqué tout le bestiaire de la création.
Mais tout ça
nous ne pouvons le comprendre qu’à condition de revenir aux origines du
Totémisme.
« Le totémisme est d'abord la projection, hors
de notre univers, et comme par un exorcisme, d'attitudes mentales incompatibles
avec l'exigence de la discontinuité entre l'homme et la nature, que la pensée
chrétienne tenait pour essentielle ». Lévi-Strauss – Le Totémisme
aujourd'hui.
Autrement dit,
l’étonnant n’est pas qu’il y ait tant de bestiaux dans notre peau, mais plutôt
qu’on considère ces attitudes qui s’incarnent comme étant spécifique d’autant
d’espèces différentes de la nôtre.
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