Saturday, January 13, 2007

Citation du 14 janvier 2007

J’ai donc refermé tous les livres. Il en est un seul ouvert à tous les yeux, c’est celui de la nature.

Jean-Jacques Rousseau - Emile livre IV (La profession de foi du vicaire savoyard)

Le vicaire savoyard a refermé tous les livres, y compris la Bible : Dieu parle au cœur des hommes, telle est la religion naturelle. Après cela, Rousseau a été obligé de fuir la France pour ne pas être embastillé…

Parmi toutes les critiques du livre, celle-ci est l’une des plus communes : les livres sont inutiles, parce que la réalité seule peut nous apprendre, par l’expérience vécue, tout ce dont nous avons besoin (1). Or, voici que de nos jours il n’est plus besoin de demander aux jeunes de refermer les livres, vu qu’ils ne les ouvrent plus. Et que faisons-nous ? Nous nous lamentons au lieu de nous en réjouir. Peut-on se passer des livres ?

Rousseau dénigre les livres après en avoir beaucoup lu. Il se justifie en disant qu’il ne décrit son cas que pour mettre en garde ceux qui voudraient l’imiter. Reste que le livre permet d’apprendre beaucoup plus et plus vite et qu’on n’a pas trouvé par quoi le remplacer (Mac Luhan s’est manifestement trompé en nous annonçant la disparition de la galaxie Gutenberg (2)) : même sur mon écran d’ordinateur, je passe mon temps à lire, et si des plus jeunes s’activent sur les images des jeux de leur console, ils ne peuvent certes pas se contenter de cela. Certes on lit moins de livres, mais on lit toujours des textes, que l’image ne peut remplacer.

Car c’est cela qui mérite attention : l’image ne fonctionne pas du tout comme l’écrit. Alors que celui-ci nous livre la pensée dans sa succession, donc rend possible les articulations logiques et sémantiques, l’image nous donne tous ses éléments dans la simultanéité. Certes la bande dessinée retrouve les articulations du texte jusque dans la structure de (des) l’image(s). Mais par là elle redevient un texte, soumis aux règles des codes de l’écriture (l’image se « lit » de gauche à droite lorsque l’écriture va dans ce sens, et de droite à gauche dans le cas contraire). Autant dire que, si le sens impliqué dans l’image nécessite, pour devenir une pensée consciente, un décryptage, néanmoins il agit sur notre sensibilité de façon très intuitive, à notre insu, un peu comme pour les messages sub-liminaux.

Le texte agit sur l’intelligence ; l’image agit sur l’affectivité.

(1) Une autre critique chez Platon (Phèdre 274-276) : l’écriture rend possible la diffusion de la science mais elle n’en permet pas le contrôle. Voir message du 22 avril. Comme antidote, voir l’inénarrable texte de Voltaire : De l'horrible danger de la lecture (1765)

(2) En 1962 Mac Luhan annonça que nous quittions la "Galaxie de Gutenberg" pour entrer dans la "Galaxie de Marconi".

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