N'avouez jamais!
Avinain - 29 novembre 1867 (1)
On dit que les vrais criminels n’avouent jamais, c’est même à ça qu’on les reconnaît… Est-ce si sûr ?
A présent où le jeu « gagnant-gagnant » a obtenu ses lettres de noblesses, nous pouvons revenir sur ce principe. Ça s’appelle le « Dilemme du prisonnier » et ça étudie le comportement des joueurs dans un jeu à somme non nulle (2) sur l’exemple suivant : Deux suspects sont arrêtés par la police. Mais les policiers n'ont pas assez de preuves pour les inculper, donc ils les interrogent séparément en leur faisant la même offre. « Si tu dénonces ton complice et qu'il ne te dénonce pas, tu seras remis en liberté et l'autre écopera de 10 ans de prison. Si tu le dénonces et lui aussi, vous écoperez tous les deux de 5 ans de prison. Si personne ne se dénonce, vous aurez tous deux 6 mois de prison. » Comme c’est un peu technique je me bornerai à quelques observations, renvoyant ceux qui voudraient en savoir d’avantage à cette page de Wikipedia
Dans un pareil cas, faut-il coopérer, et si oui, avec qui et comment ?
- D’abord observons que notre malheureux boucher a été victime d’un tricheur, la grâce impériale qu’on suppose promise n’ayant pas été accordée. Mais surtout, si son cas est tragique, c’est qu’il ne s’agit pas d’un jeu itéré (=répété), le boucher n’a pu jouer qu’une fois, et puis après il a perdu la tête. Mais lorsqu’on joue plusieurs parties avec le même adversaire, alors le « donnant-donnant » est utile.
- Si l’autre joueur est mon concurrent, je coopère avec la police au premier coup, puis je calque mon comportement sur celui de mon adversaire.
- Si l’autre joueur est mon associé, et non mon adversaire, alors la coopération est la meilleure solution: c’est seulement dans ce cas qu’on peut parler de jeu « gagnant-gagnant ».
Transposons maintenant au plan politique : le second cas est manifestement celui d’un candidat face à ses électeurs : si je gagne vous gagnez aussi. Le premier cas est celui du leader politique face au leader d’un autre parti : allions-nous pour être plus fort. Si tu me trahis, je te combattrai aussi.
Tout le problème est de savoir si le candidat n’est pas d’abord un leader qui cherche à faire gagner son parti.
Si vous voulez jouer à votre tour essayez ceci.
(1) - Le boucher Avinain, condamné à mort pour vol et assassinat, fut guillotiné le 29 novembre 1867. Jusqu'au dernier moment, il avait espéré la grâce impériale, en échange des aveux qu'il avait consenti à faire après le jugement. Mais le matin de son exécution, quand on vint lui demander "d'avoir du courage" et qu'on lui fit sa dernière toilette, il eut ces mots désespérés: "Ceux qui avouent sont toujours condamnés".
Bien des avocats se sont fait les disciples de ce boucher devenu trop tard clairvoyant, quand ils conseillent à leurs clients de nier formellement et constamment, de manière à laisser planer un doute dans l'esprit des juges.
(2) La somme des « gains » des joueurs varie d’une partie à l’autre : ici il s’agit des années de prison.
9 comments:
Ahah notre ami philosophe se prendrait il d'amitié pour les sciences économiques et le célébrissime John Nash et sa non moins célèbre théorie des jeux :)
L'ami philosophe compte sur l'ami féru de science-éco pour l'aider à décrypter le langage et la pratique de nos politiques.
De fait la théorie des jeux, pour autant que je l'aie comprise, ne peut s'appliquer à toutes les situations. La vie politique avec ses choix si divers, peut-elle entrer dans ce cadre?
La théorie des jeux à la base ne s'applique qu'à des cas particuliers et, évidemment, à l'économie dans sa généralité.
Toutefois il y a toujours des malins pour récupérer une chose brillante et pour jouer à l'apprenti alchimiste avec des formules toutes faites. Cela donne parfois des choses appréciables, parfois non.
Dans le cadre de la vie politique, il me semble qu'on puisse dans une certaine mesure utiliser la théorie des jeux. Dés lors qu'on parle de coopération, d'entente, d'alliance pouvant rapporter (oopah), on pense évidemment aux élèctions. Reste à savoir qui sont les joueurs et ce qu'ils ont a gagné ou perdre.
Il faut aussi prendre en compte, ce que ne fait pas la théorie des jeux je crois, le côté très irrationnel des individus. On sait par exemple que le sentiment d'injustice est un sentiment extrêmement puissant qui invalide totalement certaines théories fondées sur des décisions purement rationnelles.
Mais justement ! Nombre des prolongement de la théorie des jeux, et la théorie des jeux elle même sont exceptionnel en ce point.
Elles se fondent sur la théorie de la rationnalité limité et procédurale d'Herbert Simon. Cela a remis en cause la théorie dominante de l'époque : Adam Smith et Ricardo puis Walras et Marshall et la théorie Néo-Classique traditionnelle (et oui, même dans les années 70 on en était encore la, malgré une percée de Keynes en 1ére mi-temps).
Il y a eu un renouveau trés important dans le corpus théorique visant à remettre en cause 1 par 1 les hypothèses de la concurrence pure (et parfaite dans sa forme). La théorie des jeux, parce qu'elle s'applique autant à une économie fermé qu'ouverte et aux échanges internationaux ; est une innovation théorique de grande importance.
A l'instar de Cournot, Nash expose justement des coordinations possibles dans un environnement ou l'information n'est pas parfaite et les comportement non rationnel (plus exactement dont la rationnalité est limité par le manque d'information et procédural du fait de conventions tracant un chemin d'action tout fait).
Je m'étends quelque peu, surement trop sur le sujet mais il me passionne et John Nash est une personne réellement fascinante. Pour un aperçu de sa vie (quelques peu romancé, Hollywood oblige), veuillez vous référer au film "Un homme d'exception".
Vous apprendrez les facettes surprenantes de ce génie des mathématiques qui fut prix nobel d'économie malgré lui (il rêvait de la médaille de "Fitz" - pas sur de l'orthographe - équivalent en mathématiques du prix nobel).
Désolé de squatter par mes élucubrations économiques cet espace philosophique, mais j'ai dans l'idée que se limiter à un seul domaine appauvrit considérablement l'Humain. La multi-dimensionnalité de la vie ne mérite pas que nous nous consacrions à l'étude unique d'un art, d'une matière ...
Mince, j'suis un humaniste :O
Désolé de squatter par mes élucubrations économiques cet espace philosophique :
au contraire c'est le philosophe qui doit vous remercier d'éclairer sa lanterne. Et de toute façon, la philosophie se nourrit d'autre chose que d'elle-même
Je pensais notamment au "jeu de l'ultimatum". Un offreur possède une somme X (par exemple 100 euros), qu'il doit répartir entre lui et une autre personne. Si le partage est accepté par l'autre personne, alors il obtiennent chacun leur part, sinon, ils perdent tout.
D'un point de vue purement rationnel, la personne à qui on propose une part de la somme devrait l'accepter même si elle ne reçoit qu'un euro et que l'offreur garde 99 euros (car un euro vaut mieux que rien). Mais on constate que dans les pays industriels, plus de la moitié des gens refusent l'offre (donc acceptent de ne rien gagner) quand la part qu'on leur propose est inférieure à 20 % de la somme totale.
Dans les pays non-industrialisés, c'est extrêmement variable. Par exemple dans des tribus tanzaniennes, personne n'accepte une offre à 20 % alors qu'en Amérique du sud, chez de nombreuses tribus, tout le monde peut accepter.
Rationnalité limite voir même procédurale.
Comment considère tu "l'autre" dans tel ou tel société.
Je gage qu'en France ou aux Etats-Unis, sociétè industrialisé et, cela va de pair, individualisé ; la confiance ne soit pas au sommet des valeurs des habitants.
Accessoirement nous n'avons pas tous la même représentation de l'argent. Pour moi qui suis encore étudiant, 50 euros c'est enorme ... je mange un mois avec 50 euros, voir plus. Maintenant ces mêmes 50 euros pour un medecin qu'est ce que c'est ? 3 visites de Mme Poideveaux parce qu'elle a des migraines ?
Sinon je ne connais pas le jeu de l'ultimatum mais il me semble qu'une stratégie pourrait se mettre en place trés facilement :
"Je suis proposeur de prix, j'ai donc l'initiative, je prospose un prix m'avantagant mais pas trop (mettons 60 ou 65). L'autre en face accepte parce qu'intégre conventionnellement que celui qui propose le prix mène le jeu". Sans compter tout les biais via Internet.
Dans les pays industrialisés, l'offreur propose en moyenne 44% de la somme. On voit donc qu'on n'est pas loin du 50/50, c'est-à-dire du partage équitable. Et pourtant, d'un point de vue purement rationnel, l'offreur devrait pouvoir offrir 1% et même moins de la somme.
Le sentiment de justice (ou d'injustice) vient donc bien parasiter totalement les données du problème.
En fait, pour savoir comment gagner le maximum, il faut connaître la personne à qui l'on propose.
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