Les théories ont causé plus d'expériences que les expériences n'ont causé de théories.
Joubert (1754-1824) – Carnets
Cette pensée serait bien banale si on ne tenait compte de la date à la quelle elle a été écrite : fin 18ème ou début 19ème siècle.
Car c’est devenu pour nous une banalité de dire que les théories doivent précéder l’expérience. Et on doit encore ajouter que les expériences confirmant les théories sont arrivées – quand elles l’ont été – parfois bien des années plus tard (1). Mais il nous semblait quand même qu’à l’époque de Joubert, au moment où la science commence à s’édifier, elle devait partir des observations pour formuler des hypothèses, au lieu de construire « à l’aveugle » des théories que l’expérience aurait eu pour tâche de valider ensuite.
C’est du moins ce que croyait encore Descartes au moment où il publiait son Discours de la méthode. Pour éviter les erreurs venant de l’imagination (maîtresse d’erreur et de fausseté disait Pascal), il est bon de rester dans le monde, campé les deux pieds dans la boue, à observer le cours des nuages et du vent ou le vol des oiseaux.
Oui, mais voilà qu’on veut en savoir d’avantage. Rien de ce qui peut faire progresser la science ne se voit plus à l’œil nu. Il faut donc faire appel à l’imagination soutenue par les mathématiques pour formuler les hypothèses qui manquent.
Mais, une fois les mathématiques introduites dans la méthode scientifique, elles ne se sont pas contentées de modéliser les rapports entre les phénomènes – ce qu’on leur demandait. Elles ont suggéré des généralisations, anticipant sur l’observation (telles que l’hypothèse du courant de déplacement imaginée par Maxwell – voir la note 1).
C’est alors que vraiment la théorie a précédé l’expérience, et donc qu’elle a pu la suggérer – ou plus simplement conduire à des observations comme celle de l’éclipse de soleil du 29 mai 1919 pour démontrer la théorie de la relativité.
Quand donc on demande d’où vient la théorie scientifique – si ce n’est pas de l’observation du monde ? on doit répondre aujourd’hui : des traités de mathématiques, même s’ils ont plus d’un siècle et demi et qu’ils sont très poussiéreux (2).
Mais en même temps on ne fait qu’épaissir le mystère du monde, justifiant pleinement alors le propos d’Einstein : l'éternel mystère du monde est son intelligibilité. (Voir ici)
(1) Exemple : L’électromagnétisme mis en évidence par l’oscillateur de Hertz 20 ans après l’hypothèse de Maxwell. Ou encore, l’expérience de Davisson et Germer, deux ans après la théorie ondulatoire de Louis de Broglie.
(2) C’est bien sûr à la théorie des cordes que je pense.
1 comment:
j'aime beaucoup cette idée d'une citation par jour !
c'est un beau programme !
un blog donc à visiter ...TOUS LES JOURS !
sophie (des grigris)
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