Climène : Il [un mot] a une obscénité qui n'est pas supportable. - Élise : Comment dites-vous ce mot-là, madame ? - Climène : Obscénité, madame. - Élise : Ah ! mon Dieu ! obscénité ; je ne sais ce que ce mot veut dire ; mais je le trouve le plus joli du monde
Molière, Critique de l’Ecole des femmes, 3
Qu’en est-il aujourd’hui ? Serions-nous comme Elise à dire qu’obscénité est un bien joli mot simplement par ce qu’on ne connaît pas sa signification ?
On dira sans trop y songer que l’obscénité est ce qui offense ouvertement la pudeur dans le domaine de la sexualité (TLF). Evidemment… Toutefois, si l’obscénité est bien une mise à nu, elle n’est pas forcément une mise à nu du corps. Ainsi cet article d’Hélène Singer (1) montre bien que la voix aussi peut être obscène, pas seulement dans le mot, mais aussi dans le cri (2) et dans le chant. Mais pour s’en tenir à ce qui nous retient aujourd’hui, remarquons que l’obscénité y est définie comme « mise en scène de l’organique » – définition où je retiens plus l’idée de « mise en scène » que celle « d’organique ».
Il y a une culture de l’obscénité, qui fluctue au gré des époques et des milieux.
Voyez le « doigt d’honneur », geste obscène (qui a remplacé le bras d’honneur d’autre fois) qui s’est si largement répandu qu’on le retrouve dans des milieux où on ne l’attendait pas : en témoigne cette photo de José Maria Aznar.
Mise en scène, oui, et voici pourquoi. L’ex-chef d’Etat espagnol fait ce geste en direction des opposants qui le huent, et par ce mouvement il cherche à la fois à les humilier, et en même temps à se décaler complètement par rapport à sa situation. Ce qui lui permet de reprendre l’initiative : voilà un doigt qui permet reprendre la main…
Au fond, comme Barthes le disait de la jouissance du texte, le jouissance de l’obscénité vient d’une distorsion : ici il s’agit de l’écart entre la distinction du personnage « Aznar », et le geste par le quel il s’inscrit dans la situation ; et il ne s’agit pas d’un geste hypocrite qui se montre sans se faire voir (3). Il s’agit d’un geste assumé, brandi bien haut pour que tout le monde le voie.
D’ailleurs, cette photo me ravit parce qu’on n’a pas flouté le visage de l’homme qui est à droite : on peut donc le voir loucher sur le doigt d’Aznar.
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(1) Hélène Singer – Quand la voix se fait obscène.
(2) « [Le cri] : sa réalité recouvre ce que nous dit Alain Marc de l’obscène : directement vécu, pas déformé par une saisie rétrospective, qui provoque l’intensité, et la brutalité, du réel, qui est pris en pleine figure, l’obscène ne laisse pas le choix : il force le regard. » Alain Marc Écrire le cri, cité par Hélène Singer
(3) Exemple de « doigt » hypocrite : voir ici le doigt d’honneur aux journalistes d’Eric Besson et celui de Benoît Hamon
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