Wednesday, August 04, 2010

Citation du 5 août 2010

Dieu veut être cherché pour lui-même. En ce sens il est jaloux, il vous veut tout entier ; mais quand vous vous êtes donnés à lui, jamais il ne vous abandonne...

Balzac – Seraphita

Dieu seul a le privilège de nous abandonner. Les hommes ne peuvent que nous lâcher.

Cioran – De l'inconvénient d'être né

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné !

Evangile (Matthieu – 27,46 ; Marc – 15, 34.)

Voir aussi Psaume 22,2

Dieu n’abandonne jamais ceux qui se sont donnés à lui… mais il en a le pouvoir.

Nous avons là une des problématiques la mieux connue de la théologie : comment en Dieu, qui est infiniment bon et infiniment puissant, puissance et bonté peuvent elles coexister sans se détruire ? Car, n’est-ce pas, être infiniment puissant, c’est pouvoir tout faire, même ce qui contredit à l’infinie bonté.

… D’ailleurs, qu’est-ce qui dit que Dieu n’abandonne pas ceux qui l’ont trouvé ? D’où Balzac tire-t-il sa certitude ?

Mais, pour commencer, comment savons-nous que Dieu nous a abandonné ? A quoi est-ce que ça se sait ?

Il y en a un qui sait ce que veut dire d’être abandonné par Dieu : c’est Jésus, Son Fils.

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ! » (1). Sans entrer dans les détails qui font la grandeur terrifiante des 7 dernières paroles du Christ en croix, on pourrait reprendre la formule de Cioran à son propos : les hommes ne peuvent que nous quitter, c'est-à-dire nous laisser dans la solitude, Dieu a celui de nous abandonner – complétons : parce qu’il est Notre Père.

- Là encore, permettez que je laisse de côté l’aspect sacré pour me cantonner au profane : et si l’abandon consistait à revivre le traumatisme subi par l’enfant qui se croit abandonné de ses parents ? Le pouvoir d’abandon de Dieu, n’est-ce pas celui du père et (surtout) de la mère, tel que le petit en a l’expérience ? Freud le rappelle : dans les traumatismes de l’enfance, il y a celui du départ de la mère (départ certes provisoire, mais vécu comme définitif), que seul des substituts progressivement élaborés permettront de surmonter (2).

L’expérience de l’abandon, ce qui en est la marque incontestable, c’est la mutilation. L’enfant qui pleure le départ de sa mère, ne pleure pas seulement parce qu’il a peur et qu’il se sent en insécurité. S’il pleure au départ de sa mère, c’est parce qu’avec elle, c’est une part de lui-même qui disparaît. Autrement dit, s’il pleure c’est qu’il se sent faire partie de sa mère, qu’il est encore dans l’expérience de l’indifférenciation.

- Etre abandonné, c’est donc faire l’expérience de la non-différenciation, par la quelle autrui porte en lui quelque chose de nous-mêmes (3).

On comprend dès lors pourquoi Dieu, le Père universel ait, lui et surtout lui, le pouvoir de nous abandonner.

Quand à moi, je suis tranquille : je suis né sous-x…

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(1) À partir de la 6ème heure, l'obscurité se fit sur toute la terre. Et vers la 9ème heure Jésus clama en un grand cri: "Eli, Eli, lema sabachtani?" C'est-à-dire :"mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?"

(2) Je pense bien sûr au jeu du fort-da.

(3) On comprendra alors l’extraordinaire détresse de l’amoureux abandonné de sa bien- aimée – et réciproquement : les opéras sont plein de ces chants de détresse féminins : qu’on pense au lamento de Didon et au chant bouleversant cette pauvre madame Butterfly, qui guette sur la mer calmée le retour de l’infidèle……

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