La seule tristesse qui se rencontre dans cette vie vient de notre incapacité à la recevoir sans l'assombrir par le sentiment que quelque chose nous est dû.
Christian Bobin – L'Inespérée
Tristesse III
Je ne suis pas sûr que cette citation ajoute quelque chose à la compréhension de la tristesse telle que Spinoza vient de l’établir (voir ici).
Pourtant on rencontre bien des fois cette idée : en plus de la perte « d’un degré de perfection » (Spinoza), nous sommes tristes de voir que cette perte correspond à une injustice. Nous ne sommes pas seulement tristes de perdre ; mais nous sommes en plus tristes parce que d’autres ne perdent pas.
Par exemple, le candidat recalé au Bac, est triste parce qu’il doit renoncer à l’image avantageuse qu’il s’était faite de lui-même. Mais il va être encore plus triste s’il voit que son copain, fumiste au dernier degré, est reçu malgré tout.
Mais on peut aussi penser à la chanson de Brel, le Moribond : Adieu l'Antoine je t'aimais pas bien / Adieu l'Antoine je t'aimais pas bien, tu sais / J'en crève de crever aujourd'hui / Alors que toi tu es bien vivant / Et même plus solide que l'ennui.
Si on se reporte à la vidéo live de Brel, on s’aperçoit que c’est là que se trouve le seul passage vraiment triste de la Chanson : attendri avec Emile, complice avec le Curé, accusateur avec sa femme, il est sans ressources devant cette injustice : mourir en laissant la place libre dans son lit à son ennemi…
Récapitulons : la tristesse s’entend de deux façons complémentaires.
- D’abord il y a la tristesse simple, qui correspond sans doute à ce qu’en dit Spinoza : perte d’un degré de perfection (mourir ; et en plus mourir au printemps) ;
- Et puis il y a la tristesse redoublée (au carré si l’on veut bien) : tristesse d’être victime d’une injustice.
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