Il est plus grand mort que vivant...
Henri
III devant la dépouille du Duc de Guise
Ces
mots à propos du Duc de Guise auraient été prononcés devant sa dépouille le 23
décembre 1588 par Henri III, qui venait de le faire assassiner par huit membres
de sa garde privée.
Assassinat
du duc de Guise. Paul Delaroche (1778-1856) – Musée Condé.
De quoi parle-t-on ici ? De la taille apparente du
cadavre ? Peut-être quoique ce soit là, venant de l’assassin, la preuve
d’une détestable indifférence. Mais bien entendu cette phrase a surtout une
signification seconde, raison pour la quelle elle n’a pas été oubliée. Car on
comprend que pour nous, les vivants, les morts ont une place plus grande qu’ils
n’en avaient lorsqu’ils étaient en vie.
Les spécialistes de l’en-deçà de la mort (cette période qui constitue
la mort imminente) le disent : il faut profiter (le mot est peut-être
malheureux qu’on m’en excuse) de ce moment pour faire la paix avec le mourant,
pour lui pardonner ou pour être pardonné, pour dire ce qu’on n’a pas su lui
dire auparavant etc. C’est que l’instant d’après, quand il est trop tard, les
regrets et les remords envahissent l’âme : c’est là que ce mort devient
très grand – trop peut-être, du moins si c’est sur ce mode.
Outre les conflits non résolus, il y a aussi cette réaction
dont les ethnologues attestent l’omniprésence dans les civilisations qu’elles
soient proches ou lointaines : c’est le sentiment de culpabilité. Ce
sentiment se développe sur l’idée que la mort est notre œuvre : même si
bien sûr cette idée est fausse, elle n’en a pas moins de
force : avons-nous fait tout ce qu’on aurait dû pour l’éviter ?
Avons-nous été là quand il le fallait ? Peut-être que non. Du coup le
mort pourrait bien se venger, et si sa présence devient obsédante, c’est parce
qu’elle est menaçante : les tabous dont les endeuillés sont l’objet dans
beaucoup de civilisations traditionnelles attestent qu’ils sont souillés par
l’impureté de la faute.
C’est sans doute pour cette raison aussi que notre époque
s’acharne à masquer la mort : le mort n’est pas mort, il est parti ; la preuve c’est qu’on dit de lui qu’« il nous a quittés » (souvent
« après une longue maladie »).
De quoi avons-nous honte quand nous
refusons de dire ces mots ? Le mort est-il devenu si grand qu’on ne puisse
le faire passer par notre bouche ?
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