Wednesday, July 27, 2016

Citation du 28 juillet 2016

Il est plus grand mort que vivant...
Henri III devant la dépouille du Duc de Guise
Ces mots à propos du Duc de Guise auraient été prononcés devant sa dépouille le 23 décembre 1588 par Henri III, qui venait de le faire assassiner par huit membres de sa garde privée.

Assassinat du duc de Guise. Paul Delaroche (1778-1856) – Musée Condé.

De quoi parle-t-on ici ? De la taille apparente du cadavre ? Peut-être quoique ce soit là, venant de l’assassin, la preuve d’une détestable indifférence. Mais bien entendu cette phrase a surtout une signification seconde, raison pour la quelle elle n’a pas été oubliée. Car on comprend que pour nous, les vivants, les morts ont une place plus grande qu’ils n’en avaient lorsqu’ils étaient en vie.
Les spécialistes de l’en-deçà de la mort (cette période qui constitue la mort imminente) le disent : il faut profiter (le mot est peut-être malheureux qu’on m’en excuse) de ce moment pour faire la paix avec le mourant, pour lui pardonner ou pour être pardonné, pour dire ce qu’on n’a pas su lui dire auparavant etc. C’est que l’instant d’après, quand il est trop tard, les regrets et les remords envahissent l’âme : c’est là que ce mort devient très grand – trop peut-être, du moins si c’est sur ce mode.
Outre les conflits non résolus, il y a aussi cette réaction dont les ethnologues attestent l’omniprésence dans les civilisations qu’elles soient proches ou lointaines : c’est le sentiment de culpabilité. Ce sentiment se développe sur l’idée que la mort est notre œuvre : même si bien sûr cette idée est fausse, elle n’en a pas moins de force : avons-nous fait tout ce qu’on aurait dû pour l’éviter ? Avons-nous été là quand il le fallait ? Peut-être que non. Du coup le mort pourrait bien se venger, et si sa présence devient obsédante, c’est parce qu’elle est menaçante : les tabous dont les endeuillés sont l’objet dans beaucoup de civilisations traditionnelles attestent qu’ils sont souillés par l’impureté de la faute.


C’est sans doute pour cette raison aussi que notre époque s’acharne à masquer la mort : le mort n’est pas mort, il est parti ; la preuve c’est qu’on dit de lui qu’« il nous a quittés » (souvent « après une longue maladie »). De quoi avons-nous  honte quand nous refusons de dire ces mots ? Le mort est-il devenu si grand qu’on ne puisse le faire passer par notre bouche ?

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