La mémoire fait partie de notre être : oublier, c'est
mutiler son âme, c'est dessécher son cœur ; oublier c'est cesser d'être homme.
Henri-Frédéric
Amiel – Journal intime, le 19 juin 1851.
J'ai une mémoire admirable : j'oublie tout, c'est d'un
commode !
Jules
Renard – Journal du 8 avril 1907.
Voici deux citations
- portant sur le même sujet : la mémoire ;
- toutes deux issues du même objet littéraire : les
Mémoires ;
- et qui disent exactement le contraire l’une de
l’autre : la mémoire bienfait pour l’un, malédiction de l’âme pour
l’autre.
Que faut-il faire de tout cela ? Passer sur la
contradiction en disant qu’il s’agit en réalité de deux points de vues
complémentaires ? Ou au contraire dire que les citations vont toujours
comme ça, deux par deux et en sens contraire (comme « Tel père, tel
fils » et « A père avare, fils prodigue ») ?
On aurait donc deux stratégies différentes : dans le
premier cas, fournir les contextes, susceptibles de prouver qu’on a affaire en
réalité à deux éléments provenant d’une même morceau ? Et dans l’autre,
donner pour chaque citation la citation opposée, prouvant que tous les avis
existent et qu’ils sont tous aussi bons – ou aussi mauvais ?
Et si on se tournait vers les auteurs de ces
citations ? Si on se demandait non pas quelle est leur stratégie, ni comment
ils veulent solliciter notre opinion, mais bien plutôt s’ils ont un engagement
philosophique différent et si leur vérité se révèle par ces bouts de
phrases ?
Ainsi, Amiel qui est à la recherche d’un être d’une pièce
qui ne peut rejeter son passé, car le passé n’est pas passé, qu’il fait qu’un
avec le présent. Et Jules Renard qui a une conception de la vie ressemblant à
celle d’un aérostier, qui pour s’élever jette pardessus bord le lest qui freine
son mouvement ascendant.
Deux philosophies de la vie, l’une tournée vers un sens
finalement approfondi, un peu existentialiste – on est du côté de Sartre.
L’autre tourné vers l’inconscience et l’imagination, et on se retrouve chez
Nietzsche.
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