L'opinion publique est souvent une force politique, et cette force n'est prévue par aucune constitution.
Alfred Sauvy – L'Opinion publique
L'opinion publique est souvent une force politique : on aurait tendance à dire aujourd’hui non pas souvent, mais toujours, et à rajouter : du moins dans les démocraties.
On dirait aussi que cette force, comme toutes les autres en politique est l’objet de manœuvres, de manipulations, dont la politique compassionnelle et la démocratie de proximité ne sont que les derniers avatars (là-dessus on peut se reporter à ce Post).
On dira peut-être enfin que si l’opinion publique est une force politique dans les démocraties elle est néanmoins prévue et encadrée par le suffrage universel. Mais c’est une erreur qu’on ne corrigera qu’en prenant garde à ce que le suffrage exprime la volonté générale, comme le disait Rousseau, alors que l’opinion publique n’est que l’ensemble des opinions privées dont on ne parviendra pas à faire la somme parce qu’elles jaillissent à flot continu selon une modalité plus sociologique que politique (1).
Mais, plutôt que de disserter sur l’écart entre volonté populaire et opinion publique, je voudrais remarquer avec Alfred Sauvy que cette force n'est prévue par aucune constitution. Et c’est là qu’on trouve l’énorme naïveté à l’égard des constitutions politiques. On voudrait croire qu’elles ont réglé et encadré les forces qui sont mises en jeu par la vie des peuples : ainsi des 3 pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire – comme si leurs rapports étaient l’alpha et l’oméga du pouvoir politique.
Mais en réalité il faut bien accepter l’idée que des pouvoirs aussi massifs que le pouvoir médiatique (le 4ème pouvoir comme on dit parfois) et l’opinion publique restent en dehors de toute emprise constitutionnelle. Quand on a légiféré sur eux ce fut seulement dans le cadre des interdits et des autorisations garanties.
On s’en réjouira peut-être en se disant que tout pouvoir qui légifère sur la liberté de la presse ou de l’opinion est une dictature. Mais il ne s’agit pas de cela. Il s’agirait plutôt de définir l’exercice de leur pouvoir et son rapport avec les autres pouvoirs.
Je ne sais pas s’il faut le faire. Je remarque seulement que puisque rien ne s’y oppose, c’est une tentation permanente de la part des politiques de prendre le contrôle de ces pouvoirs et de les utiliser à leur profit.
On n’a pas oublié par exemple la ridicule intervention du député Eric Raoult à propos de Marie Ndiaye (2). Ridicule ? Seulement pour les naïfs qui craignaient pour son intégrité mentale. Mais c’est plutôt inquiétante qu’il faudrait dire, car en fait c’était une tentative de manipulation de l’opinion : il n’avait en réalité que l’objectif d’être de nouveau invité sur les plateaux télé.
Ce qu’il a parfaitement réussi.
(1) Je veux dire qu’il s’agit alors d’un phénomène sociologique qui détermine les opinions individuelles.
(2) Rappel : Marie Ndiaye écrivain née à Pithiviers d’un père sénégalais est partie s’installer à Berlin en déclarant publiquement qu’elle partait parce que la France de monsieur Sarkozy était monstrueuse. Là-dessus elle obtient le Goncourt et Eric Raoult écrit au ministre de la culture pour qu’il instaure pour les écrivains couronnés par un prix littéraire un « droit de réserve » interdisant ces propos qu’il juge inacceptables (voir le détail ici).
2 comments:
Bonjour
Il ne s'agit pas d'un commentaire sur votre dernière citation du jour mais simplement un bon mot en passant. Je viens de découvrir votre blogue et je jure fidélité..
Lectrice du Québec
Un grand merci à nos ami(e)s canadiens.
Je les tiens dans la plus haute estime, non seulement pour leur attachement à notre langue commune, mais aussi parce que j'observe qu'un certain nombre de sites dédiés aux citations viennent du Québec, dénotant je suppose un intérêt que je partage pleinement pour cet art.
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