(Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe.)
Camus est ce philosophe (on peut je crois, employer ce terme sans hésiter), qui paraît d’abord pessimiste. Comme l’homme qui, considérant sa vie au moment où il enfile ses chaussettes, se dirait « A quoi bon ? Tout ce travail pour reproduire une vie consacrée au travail ? Le mieux serait d’en finir au plus vite ». Comme Sisyphe qui roule éternellement son rocher, la vie passe sans laisser de trace. En termes plus philosophiques, l’absurdité chez Camus résulte du « divorce entre l’élan de l’homme vers l’éternel et le caractère fini de son existence » (Sartre).
Seulement, voilà : « il faut imaginer Sisyphe heureux ». Et ça, c’est autre chose que l’absurde. Peut-on dire que la lucidité désespérée, gonflée d’orgueil, fait notre bonheur ? Peut-on dire que le pouvoir de penser ce qui nous écrase assure notre grandeur (Pascal) ? Sisyphe serait-il comme ces héros qui triomphent dans la mort, en affrontant d’une volonté terrible ce qui va les écraser ?
Certes, mais le héros de Camus n’est pas tragique. Pour son « homme révolté », c’est bien la lutte qui donne le sens à la vie, c’est elle qui constitue le fil conducteur sans le quel l’effort de Sisyphe n’est qu’une « cette suite d'actions sans lien » (Camus - Mythe de S.). Mais cette lutte est pour l’essentiel affirmation de la valeur de sa volonté ; c’est par elle qu’il reconnaît comme destin ces efforts stériles et sans cesse réitérés. Elle le reconnaît comme son destin, celui qu’elle assume, celui qui lui fait encore une fois soulever son rocher. Il ne s’agit donc pas de se révolter contre le destin, mais contre le découragement qui réduit à n’être qu’une bête de somme.
Bref ; on est plus près de Nietzsche que de Pascal.
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