La tristesse est le passage de l’homme d’une plus grande à une moindre perfection.
Spinoza – Ethique, 3ème partie – Définitions des sentiments, III
Tristesse I
Le moindre avantage qu’on soit en droit d’attendre de la philosophie c’est cela : qu’elle fasse un peu le ménage dans les représentations mal fondées, dans les préjugés et dans les superstitions. Comment cela ? En nous proposant plusieurs hypothèses là où d’ordinaire une seule « certitude » nous suffit.
Le mérite de Spinoza est de souligner deux éléments propres à la tristesse :
- D’abord, la tristesse correspond à une réalité objective, qui est la perte d’un degré de perfection. Et non un sentiment lié à une subjectivité qu’il suffit d’éclairer pour la faire disparaître. Du genre : « Bouge tes fesses un peu, tu vas voir que ça ira mieux… » Non : il y a bel et bien passage … d’une plus grande à une moindre perfection.
- Ensuite, on évite également la surestimation de la tristesse entendue comme la façon dont la belle âme s’éprouve elle-même. Il faut se reporter aux Romantiques pour avoir une idée de ce qu’était alors la tristesse : une propriété du génie… ou du moins de l’homme qui sort du commun.
Donc :
- 1ère hypothèse : Spinoza nous dit que la tristesse est liée objectivement à une perte et non une grandeur ; c’est ainsi que la tristesse est exactement opposée à la joie. (1)
Sinon :
- 2ème hypothèse : que la tristesse soit strictement un état psychologique sans qu’aucun fondement objectif ne soit requis pour la comprendre – pourquoi pas ? Mais alors on devrait en faire un état pathologique, comme les états dépressifs, et ne surtout pas chercher à lui donner un sens, mais simplement combattre ça à coup d’anxiolytique : Prosac, la pilule du bonheur.
Ou encore, si vous y tenez :
- 3ème hypothèse : que la tristesse soit la marque du Génie, peut-être également… mais alors :
- ou bien (1ère hypothèse subsidiaire) il faut admettre le génie soit marqué par cela sans qu’on sache pourquoi,
- ou bien (2ème hypothèse subsidiaire) c’est qu’un Génie ne peut vivre heureux chez des nains comme nous – Ses ailes de Géant l’empêchent de marcher… (2)
C.Q.F.D. (comme disait Spinoza…)
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(1) Cf. Spinoza, idem – Def. II
J’ajouterai pour ceux qui veulent plus de précision que dans l’Explication de cette définition, que Spinoza précise que la tristesse n’est pas dans la moindre perfection – puisque participer à une perfection ne peut nous attrister – mais dans le passage à cette moindre perfection – c'est-à-dire dans la perte de quelque chose.
(2) Baudelaire – L’albatros (Les fleurs du mal)
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