Frédéric Boyer –
Rappeler Roland
[…] Gerier frappe l’amiral [sarrasin] : / il lui
brise le bouclier, lui démaille la cuirasse ; / il lui plonge son bon
épieu dans le cœur ; / il lui enfonce le fer qu’il lui passe à travers le
corps / de la longueur de sa lance il l’abat mort sur place. / Olivier dit :
« Belle est notre bataille ! »
La Chanson de
Roland, laisse 97 (vers 1269-1274)
La citation de Frédéric Boyer est tirée d’une pièce de
théâtre qui elle-même puise son inspiration dans la Chanson de Roland – afin qu’on se rappelle que la guerre est une grande
joie pour ceux qui la font, à condition peut-être d’oublier les armes de
destruction massive.
Quand Roland se bat à Ronceveau, l’issue ne fait pas de
doute : il sait qu’il sera vaincu, mais il combat toujours
vaillamment : victoire ou défaite, qu’importe ? Si la victoire finale
lui était promise, il l’échangerait, s’il le pouvait, contre une lutte sans fin.
C’est un plaisir que nous avons peut-être perdu depuis
longtemps : la joie de la guerre vient de ce qu’elle est une lutte d’homme
à homme – une lutte à mort. Et quand la lutte est inégale, le plaisir du plus
fort vient de sa surcapacité à détruire, comme Roland qui, de sa bonne
Durandal, fend en deux dans le sens de la hauteur non seulement le guerrier
sarrasin, mais aussi son cheval.
- Oui, tout cela on l’a oublié depuis longtemps, et si
les armes à feu (1) qui permettent de détruire l’ennemi à distance en sont
responsables, c’est à Hegel qu’incombe la faute d’avoir dénaturé le duel qu’il
identifie à « la lutte pour la reconnaissance ». Cet affrontement est
en effet un combat qui ne s’éclaire que par son but : être reconnu comme
un maître par le vaincu. Dans ce duel à mort, le vainqueur se reconnait à ce
qu’il ne craint pas la mort, alors que son ennemi demande la grâce d’être
épargné pour survivre.
Qu’est devenu le plaisir gourmand du combat ?
L’insouciance joyeuse quand résonnent les lames des épées, acier contre
acier ? Quand sous les coups jaillissent les étincelles des heaumes ?
Pinabel de Sorence
est d’une exceptionnelle bravoure. / Il frappe Thierry sur le casque de
Provence : / il en jaillit du feu qui enflamme l’herbe. / De sa lame
d’acier il lui présente la pointe / qu’il lui fait descendre sur le front, / il
le blesse en plein visage… (Laisse 285)
Ceux qui ne savent pas lire peuvent écouter ici
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(1) Mais aussi les arbalètes, que le poème épique Roland furieux dénonce comme indigne du
combat chevaleresque.
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