André Breton –
Introduction à Jacques Rigaut dans "Anthologie de l'humour noir"
Retenons le titre de l’ouvrage d’où cette phrase est
tirée : humour noir. Parce que,
célébrer la vie en faisant l’éloge du suicide, c’est un peu raide quand même…
Essayons toutefois d’en extraire la substantifique moelle
en la pressurant fortement.
Remarquons déjà que si on n’avait que le début de la
phrase : « Le plus beau présent
de la vie est la liberté » il n’est pas sûr qu’on chercherait à la
compléter. La liberté, sans ajout ni précision, voilà qui devrait nous suffire.
Pourquoi vouloir ajouter quelque chose qui la limite et qui éventuellement la
dénature ? La Liberté est-elle plus grande avec cette spécification
mortifère ?
Tâchons plutôt de nous concentrer sur la vie, et disons : la vie est plus belle parce qu’on peut en
sortir à notre heure. Moi, je trouve ça moins choquant. Après tout, nous
pouvons quitter notre vie comme bon nous semble : nous n’avons de comptes
à rendre à personne, puisque nous n’avons pas demandé à naitre. Et d’ailleurs,
c’est très bien comme ça, sans quoi il faudrait encore se justifier :
« Ah ! tu as demandé à vivre parce que tu voulais être un Grand
musicien (ou politicien, ou brigand, ou armateur grec, etc.). Tu n’y es pas
arrivé : c’est là ta faute ».
En réalité notre naissance a ajouté un être complètement
facultatif à l’humanité. Du coup nous n’avons aucune obligation de continuer à
en faire partie.
Toutefois, la mort ne doit pas être le symétrique de la
naissance, sans quoi elle serait absurde : pour qu’elle ne le soit pas, il
faut qu’on puisse partir à notre heure.
A notre heure ?
Mais quand allons-nous considérer que notre heure est venue ? A quelle
vision de sa vie faut-il parvenir pour pouvoir prononcer une phrase aussi
terrible ?
- Mais ça ne se passe pas comme ça – pas du tout. Comme
le dit Schopenhauer, nous sommes piégés par l’instinct de l’espèce. Il faut
vivre pour se reproduire et pour la perpétuer : c’est cet instinct qui
nous fait préférer vivre misérablement plutôt que de mourir héroïquement –
comme le Bûcheron de la fable.
- Une anecdote glanée à la télé : une femme atteinte
d’un cancer incurable décide d’en finir : elle se fixe une date à
l’avance : elle dit « Je partirai le 1er novembre »
(c’est dans 2 mois). Au fur et à mesure que la date approche, elle se
dit : « Ai-je raison ? Je suis encore heureuse de vivre – et
pourtant que je sens que je me détruis de l’intérieur. Que faire ? »
On nous dit qu’elle s’est supprimée à la date prévue : qui dira si elle a
eu raison ou bien tort ?
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