… la sauvegarde des bricoles fonde l'éclosion des grandes
choses. Entre le dérisoire et le grandiose, il n'y a même pas l'espace d'un
ongle.
Fred
Vargas – Coule la Seine (2002)
Commentaire
I
L’avantage que possèdent les écrivains sur les philosophes,
c’est qu’ils n’ont pas à justifier leur propos : ils les pondent et puis les
voilà partis en faisant cot-cot-codec.
Et c’est là que le philosophe arrive, ramasse l’œuf et se gratte
la tête, perplexe : c’est qu’il doit maintenant en extraire la « substantifique
moelle ».
Pas facile… Mais en même temps l’absence de contexte et le
caractère paradoxal du jugement nous rendent libres de l’interpréter comme nous
voulons – sous réserve de produire du sens. Car pour nous, philosophes, le sens
est roi. Sans lui nous ne serions plus rien.
o-o-o
Laissons de côté l’idée que Fred Vargas serait entrain de
justifier une pathologie étrange (1) et prenons au sérieux son
affirmation : c’est dans les bricoles que les grandes choses trouvent leur
origine.
Des
bricoles fondent l'éclosion des grandes choses : petite
cause, grands effets ? C’est ici que nous sommes confrontés à un interdit
de la pensée classique : car ça revient à dire que les grands effets sont engendrés par des
causes qui ont une moindre perfection
en elles. Pour le philosophe classique, voilà une horreur – engendrée il faut
le dire par la philosophie matérialiste qui affirme que l’univers dans sa
splendeur peut très bien être le résultat, non d’un Fiat du Seigneur-Dieu-Tout-Puissant, mais d’un grain de matière qui
arrive par hasard à s’accrocher à un autre grain.
Alors c’est vrai : entre ce dérisoire-là et le Monde il
y a plus que l’épaisseur d’un ongle. Mais qu’il ait fallu des milliards
d’années après le Big-Bang pour en arriver à ce que nous sommes, n’y change
rien : la formidable chaleur des premières secondes de l’univers ne suffit
pas à faire de cette matière en ébullition autre chose qu’une bricole.
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(1) Celle qui consiste à refuser de ne rien jeter : on
en parle demain
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