Etre de
gauche, c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis
soi ; être de droite, c’est l’inverse.
Gilles Deleuze.
Mais si on
rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres
hommes, lorsqu'on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n'aurait
aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu
qu'en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du
bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service
d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente ; voire on voudrait perdre son âme,
s'il se pouvait, pour sauver les autres.
Descartes – Lettre à Elisabeth 15
septembre 1645
Quand il
écrit cette phrase, Deleuze a sans doute dans l’esprit cette lettre de
Descartes à la princesse Elisabeth – y compris avec cette énumération
d’environnements concentriques, calquée exactement sur le même passage (cf.
Annexe). On retrouve d’ailleurs la même idée chez Montesquieu lorsqu’il définit
la vertu politique comme le fait de préférer l’intérêt du grand nombre à son
intérêt particulier. Néanmoins, on appréciera chez Gilles Deleuze la facilité
avec la quelle il traduit ces pages de l’histoire de la pensée :
substituant la gauche à la démocratie selon Montesquieu et la droite au
despotisme (idem) – sachant qu’il trouve alors de nouveaux critères
d’évaluation, indépendants des sempiternelles déclarations concernant les libertés
individuelles.
- Il y a
quand même une différence entre Descartes et notre philosophe
contemporain : Descartes reconnaît certes qu’on ne saurait évaluer sa
propre valeur sans tenir compte de l’ensemble dans le quel on est inséré ;
mais il refuse par principe de renoncer à l’intérêt privé. Selon Descartes en
effet, si je risque la mort pour ma patrie, c’est qu’elle est le seul moyen
pour moi de subsister. Par contre je ne le ferai pas s’il s’agit d’un avantage infime,
comparé à la perte qui m’est alors infligée. (Cf. texte en Annexe)
On objectera
que l’extrême droite accepte le principe du sacrifice pour la Patrie, mais
seulement parce qu’il s’agit de la défendre contre les barbares qui sont par
définition des gens qui viennent de l’autre côté de la frontière : les
principes de la Civilisation perdent leur valeur en la franchissant.
Malheureusement, il y a un moment où le cheminement centrifuge s’inverse :
c’est lorsque les barbares sont parmi nous ; il ne reste plus alors que
les déchoir de leur nationalité.
Mais ça,
c’est la gauche qui le veut.
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« Bien
que chacun de nous soit une personne séparée des autres et dont, par
conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du
monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul, et qu'on est,
en effet, l'une des parties de l'univers, et plus particulièrement encore l'une
des parties de cette terre, l'une des parties de cet Etat, de cette société, de
cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa
naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est
partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et
discrétion, car on aurait tort de s'exposer à un grand mal, pour procurer
seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus,
lui seul, que tout le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir
perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait
pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu'on croirait en retirer quelque
petite commodité, et on n'aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni
généralement aucune vertu ; au lieu qu'en se considérant comme une partie du
public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint
pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en
présente. » Descartes, Lettre à Elisabeth 15/9/1645 Lire la lettre entière ici.
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