Quel mortel reste juste s'il ne redoute rien ?
Eschyle
– Les Euménides
Si tu pouvais par un seul désir, tuer un homme à la Chine,
et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu’on n’en
saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ?
Chateaubriand,
Essai sur les révolutions. Génie du christianisme
(voir texte en annexe)
Tuer
le mandarin – (Figuré) Nuire à une personne qu’on est assuré de ne
pouvoir connaître, avec la certitude de l’impunité et pour en recueillir des
avantages.
Article
Wikitionnaire
Contrairement à ce qu’on pourrait supposer à la lecture de cette citation, Chateaubriand
affirme que, dans un cas aussi propice à l’indifférence, le crime entraine
nécessairement les tourments de la culpabilité (1).
Autrement dit, la conscience morale existe réellement, même si sa voix est
étouffée par d’autres sentiments.
Voici la question qui est indirectement posée : comment
faire pour que les lois soient respectées ? Faut-il compter sur l’éveil de
la conscience morale ? Faut-il plutôt compter sur des punitions dissuasives
(= dont la force l’emporte sur l’avantage apporté par le crime) ?
Réciproquement, l’impunité ou l’indifférence à la punition (comme la peine de mort dont on
voudrait menacer le kamikaze) entrainerait-elle le crime ?
On sait que cette question est agitée en ce moment à propos
de la déchéance de nationalité à l’encontre des terroristes. Toutefois on ne
pose pas vraiment le problème dans ses termes véritables : quelle sanction
pourrait dissuader un terroriste de commettre ses forfaits ?
On dit que cette sanction est inefficace parce qu’elle vise
des hommes qui ont fait à l’avance le sacrifice de leur vie, et qu’on devrait
alors l’appliquer non à des vivants mais à des morts – ce qui, soit dit en
passant, est impossible, la mort du coupable entrainant l’extinction de
l’action de la justice.
En admettant qu’il n’y ait pas de réponse satisfaisante à
cette question, il ne faudrait pas abandonner pour autant le débat sur la
déchéance de nationalité, mais simplement modifier l’angle de visée du
problème.
La
suite à demain, si vous le voulez bien.
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Ô conscience ! ne serais-tu qu’un fantôme de l’imagination,
ou la peur des châtiments des hommes ? je m’interroge ; je me fais cette
question : « Si tu pouvais par un seul désir, tuer un homme à la Chine, et
hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu’on en
saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ? » J’ai beau m’exagérer
mon indigence ; j’ai beau vouloir atténuer cet homicide, en supposant que, par
mon souhait, le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu’il n’a point
d’héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l’État ; j’ai beau
me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins ; j’ai beau me
dire que la mort est un bien pour lui, qu’il l’appelle lui-même, qu’il n’a plus
qu’un instant à vivre : malgré mes vains subterfuges, j’entends au fond de mon
cœur une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d’une telle
supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience.
Chateaubriand, Essai sur les révolutions. Génie du
christianisme (cité ici)
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