À quoi bon servirait-il de rapporter ici nos tendres
caresses, les baisers pris et rendus? Nos bouches, ces organes de la tendresse
et de la volupté, disaient (...), par de charmantes unions, les sentiments qui
nous animaient
Restif
de la Bretonne – M. Nicolas, 1796
A quoi sert une bouche ? A parler ? A crier ? A manger ? A mordre ? A sucer ? A embrasser ?
Compliqué, n’est-ce pas ?
- Déjà, observons que lorsque nous demandons à un moteur de
recherche de nous donner des images de la bouche, nous voyons arriver une
collection de bouches féminines, soulignées par du gloss rutilant. Ce ne sont que lèvres sensuelles, dents de perles blanches, petit bout de
langue rose… Bref, pas de dents mordant, pas de bouche avalant, par de langue
léchant la graisse dégoulinante, pas lèvres tordues par un cri… Seulement un organe de la tendresse et de la volupté,
propice à une union charmante avec une bouche semblable. (1)
On dira que ce n’est pas très étonnant, les données
physiologiques n’ayant que peu d’intérêt quand elles sont mises en balance avec
la promesse de la jouissance. Occasion de se souvenir que beaucoup d’autres
organes sont dans le même cas, et pas seulement ceux qui interviennent dans
l’union charnelle. Chacun d’entre eux a deux réalités : l’une qui est
physiologique, l’autre qui est fantasmée. On dit que Marlène Dietrich, lassée
d’entendre vanter le galbe de ses jambes disait : « Eh bien moi,
elles me servent à marcher … ».
Je viens d’écrire : « chacun d’entre eux » : est-ce vrai ? N’y aurait-il
pas des organes ne disposant que d’une seule réalité ? Qui n’auraient que leur
fonctionnalité organique, ou bien au contraire qui ne seraient dédiés qu’à la
jouissance ?
Pour les premiers, on dira que la plupart des organes à
l’exception de ceux dont on vient de parler, sont dans ce cas. Ce qui fait que
nous les ignorons superbement : qui donc a imaginé ce que, franchie la zone buccale propice à la
jouissance du goût, deviennent les sublimes mets du réveillon – lorsqu’ils vont
se perdre dans nos estomacs sombres… Qui donc imagine ce que devient le foie
gras parvenu dans son intestin !
Et que dire des organes destinés uniquement à faire éprouver
de la jouissance ? Pardon – nous devons rectifier : que dire de l’organe, car il n’y en a qu’un.
Seul, le clitoris est « mono-fonctionnel » : lui seul apporte de
la jouissance et rien de plus. Alors,
libre à vous de chanter une ode à la gloire du clitoris (2), héros de la
liberté de jouir à l’encontre du pénis qui ne peut le faire qu’à condition d’ensemencer
la femme. Quant à moi, je ne peux éviter
de penser que, sans récompense, personne ne se soucierait de rependre sa
semence là où il faut. Réciproquement, sans lui, quelle femme supporterait les
assauts du mâle ?
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(1) Il y a des exceptions en tout : voyez le poème de
Scarron « Vous faites voir des os quand vous riez, Heleine, / Dont les uns
sont entiers et ne sont gueres blancs ; / Les autres, des fragmens noirs comme
de l'ebene / Et tous, entiers ou non, cariez et tremblans. ».
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