Paul Valéry –
Lettres à Jean Voilier
Que fait la fée ? Elle fait des miracles, le plus
souvent en exauçant des souhaits ridicules. Si l’on met de côté ce dernier
aspect, elle possède ce qui échappe aux hommes : le don d’ubiquité et la
capacité à se déplacer dans le temps.
Et voilà donc, selon Valéry, que Jean Voilier, sa fée (1),
parvient à être là quand elle ne l’est pas, ce qui suppose un don peu commun…
Mais voici qui est encore plus troublant : « quand tu n’es pas là, tu es énormément plus
là que quand tu es là » dit Valéry : n’en fait-il pas trop ?
A-t-il abusé de substances hallucinogènes ? Peut-être, mais ce n’est pas
nécessaire, car nous reconnaissons ici l’effet du désir et de sa
représentation : le fantasme. Le propre du fantasme n’est-il pas,
justement, de nous donner l’illusion de la présence de l’objet désiré ? Et
la réalité n’est-elle pas dans ce cas un peu insuffisante par rapport aux
images véhiculées par le fantasme ? Oui, n’est-ce pas : pour nourrir
un fantasme, il faut certes quelque chose qui s’ancre dans la réalité – par exemple,
pour fantasmer avec un calamar géant il faut comme le montre Hokusai, être la
femme du pécheur. Mais il faut aussi que cette réalité soit estompée pour
arriver à supporter les variantes imposées par le désir. Encore une fois,
si Jean Voilier est plus présente quand elle n’est pas là, c’est que Valéry
peut l’imaginer dans toutes sortes d’attitudes qu’elle n’aurait pas eues dans
la réalité.
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(1) Oui, Jean Voilier était une fée ! Pour
vous en convaincre, lisez l’article Wiki : « Jean Voilier était une
éditrice, romancière et avocate française. Elle fut une grande séductrice du
milieu littéraire français, ayant compté parmi ses amants Jean Giraudoux,
Saint-John Perse, Curzio Malaparte, Paul Valéry - qui la surnommait Héra -
Émile Henriot, Robert Denoël, Pierre Roland-Lévy, mais aussi la féministe
Yvonne Dornès. »
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