C’est le paradoxe suprême de la pensée que de vouloir
découvrir quelque chose qu’elle-même ne puisse penser
Kierkegaard
Ci-dessus : « Mise au point de la pilule qui rend
la lecture de Kierkegaard compréhensible du premier coup »
Plonk
et Replonk – Voir ici
Cette carte humoristique paraît d’abord inspirée par le
nom épouvantablement compliqué de
Kierkegaard (ah ! ce double « a » ! et encore on laisse de
côté le prénom : Søren avec le « o » barré) – mais on aurait
tort : après tout, en danois le nom Kierkegaard
signifie « ferme de l’église », pas plus compliqué de Dupont, qui
devait habiter près d’un pont.
La difficulté de lire Kierkegaard viendrait-elle de son style
ou de la complexité de sa pensée ? Pas plus, même si ces gros livres sont
parfois assommants (1).
Non : selon Kierkegaard le principal objet de la pensée
– et donc des livres où elle se déploie – est de se confronter à l’impensé c’est à dire essentiellement à l’impensable.
Au sens trivial, l’impensable peut en effet être quelque
chose qu’on imagine mais qu’on refuse de prendre pour objet de réflexion :
c’est quelque chose d’improbable, qui ne saurait exister ou qui ne le devrait
pas. Mais bien sûr, on a ici affaire à autre chose : la transcendance qui ne peut se mettre en
mots qui sont toujours liés à des concepts, c’est à dire à des significations
générales.
On a ainsi un lien qui s’établit entre l’illisible et
l’indicible. Et c’est toute la difficulté de la philosophie (mais pas seulement
d’elle) que de savoir de quelle nature est l’illisible. Il se peut que le texte
soit-il difficile à lire parce que la phrase épouse trop étroitement la complexité
de la pensée. Bien sûr, il se peut que l’illisible ne soit qu’une ruse pour
faire croire à la profondeur de la pensée : « Il ont troublé leur eau pour la rendre plus profonde » disait
Nietzsche de certains métaphysiciens. Mais enfin, si des générations entières
de philosophes se sont échinées à comprendre ce que voulaient dire leurs
congénères on veut croire que ce n’est pas pour rien. Pourquoi tant d’efforts
si ce n’est pour saisir une pensée de la transcendance ?
Oui, mais nous, simples lecteurs, saurons-nous vaincre la
difficulté ? On sait que Kant avait un ami qui lui reprochait la
difficulté lire ses textes :
« Quand je lis, disait-il, je mets
un doigt sur le sujet un autre sur le verbe, un troisième sur le complément.
Mais avec toi, je n’ai jamais assez de doigts pour aller jusqu’au bout de tes
phrases ! » Oui, pour ce monsieur, la découverte de la pilule facilitant
la lecture serait une bénédiction. Mais pour celui qui recherche le contact
avec le transcendant, alors une telle facilitation serait trompeuse, elle
donnerait directement sur le contre-sens.
Reste que l’expression de l’impensable ne peut se faire que
grâce à une sorte de théologie négative : faute de pouvoir dire ce qui est
pensé, on peut dire ce qu’il n’est pas.
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(1) Un conseil : si vous voulez lire Kierkegaard,
commencez par ses sermons : beaucoup plus simples. Il ne s’agissait quand
même pas d’endormir les fidèles pendant le culte !
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