Un amant sa maîtresse et ses jambes à son cou / Et les yeux sur les fesses les
mains un peu partout / Les pieds levés au ciel et les seins sens dessus
dessous / Les deux corps enlacés échangés caressés
Prévert, Paroles,
1946
Picasso – Figures au
bord de la mer (1931)
Oui, je sais : ces Figures au bord de la mer ne répondent pas tout à fait à la
description faite par Prévert. Mais je n’ai pas trouvé mieux, et puisque
Prévert est un poète, on admettra facilement qu’il ait pu user d’une licence
poétique dans sa description.
- D’abord, relevons que le poème de Prévert met l’accent
sur un fait que l’on passe souvent au second plan : Picasso est avant tout
un peintre figuratif. Il est même comme le suggère Prévert « sur-figuratif »,
si l’on entend par là qu’il superpose plusieurs aspects différents quoique simultanés
d’une scène. L’amante dont nous parle Prévert a ainsi son amant entre les
jambes, elle lève les pieds au ciel tandis que ses seins sont un peu partout.
Quant l’amant, les yeux sur les fesses et les mains un peu partout, on devine
qu’il est très affairé. Et en fait les voilà enlacés échangés caressés.
Si donc la réalité montrée dans le tableau est
difficilement lisible, ce n’est pas par déni de réalité, mais bien parce que
Picasso donne à voir en un seul tableau ce que d’autres ne pourraient montrer
qu’en 4 ou 5.
- Mais Picasso ne serait pas lui-même si, en plus
d’exhiber une réalité totale, il ne se livrait pas à une recherche esthétique.
Le tableau reproduit ci-dessus le montre : il s’agit d’une œuvre dont
l’aspect purement formel porte la marque d’un style tout à fait reconnaissable,
d’une esthétique qu’on peut décrire et déduire d’autres œuvres de la même
époque.
- C’est d’ailleurs cela qui désoriente le spectateur naïf
qui recherche dans un tableau une image représentant la réalité des choses, un
peu comme une photographie prise sans recherche particulière. Lorsque dans une
exposition Picasso on montre les esquisses successives d’un même tableau, le
public est décontenancé : les premières esquisses nous donnent une image lisible
de la réalité. Bon nombre de gens diraient volontiers : « Ça, c’est
beau – Restons-en là ! ». Mais non ! Picasso fait ensuite 5 ou 6
esquisses différentes qui toutes concassent et déconstruisent l’image pour en
faire ressortir des lignes de force nouvelles, des volumes nouveaux, des
agencements inédits. Et Des yeux sur les
fesses et des mains un peu partout.
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