Les astrologues n'avaient garde de rechercher une précision
qui aurait rendu leur art impraticable ; et ceux qui les consultaient, curieux
qu'on leur dît l'avenir, étaient contents, pourvu qu'on leur prédît quelque
chose
Condillac
– Traité des systèmes. (1749) ch. 5
(N.B. « Qu’on leur dît » :
subjonctif imparfait. Voilà ce qu’on ne dit plus justement parce que la
concordance des temps, ça fait longtemps qu’on s’en moque. On cite à ce propos
Corneille : « Julie: - Que
voulez-vous qu'il fît contre trois? Le
vieil Horace: - Qu'il mourût! »
Alors moi, j’attends de notre Nouveau-Président des mesures
énergiques et radicales pour restaurer le respect de la concordance des temps)
o-o-o
Au fond la crédulité n’est autre qu’un mécanisme qui nous
garantit le plaisir là où précisément il devrait faire défaut. Voilà une
généralité, un préalable qui encourage à la lecture de la suite de cette
citation.
Maintenant, venons-en à application de ce principe à propos
des astrologues. Le désir auquel ils doivent répondre est de faire connaître l’avenir, mais sans
forcément donner une certitude à propos
de son contenu. Disons-le autrement : ils ont à nous révéler que l’avenir
est déjà déterminé, sans pouvoir, avec une clarté absolue, soulever le voile qui
en cache le contenu.
Et pourquoi cela ? Si l’on veut avoir la certitude que
l’avenir est déjà écrit, c’est afin que nous n’ayons nul effort pour le faire
advenir, ni même de lutter pour avoir ce qu’on en espère. Comme on dit
parfois : « C’est écrit dans le
ciel ! », et à quoi bon se battre alors ? Qu’il soit bon ou
mauvais, l’avenir sera ce qu’il doit être sans que nos efforts ni nos prières
ne puissent y changer quelque chose.
Ce fatalisme est très répandu, au point qu’on le devine
corrélé à une conception générale de l’action et non à une religion ou une
idéologie particulière. Les stoïciens l’ont très bien montré : les choses
se produisent de façon nécessaire sans que nous n’y puissions rien
changer : tel est le destin (1). Du coup notre sagesse consistera à
comprendre cette nécessité et à faire advenir en nous ce que seule notre
liberté peut produire : la sagesse et la vertu.
De nos jours, espérer que l’avenir soit déjà écrit, c’est très
mal vu : on considère cela comme une paresse morale, voire même physique,
consistant à rester inactif le jour durant, se limitant éventuellement à faire
brûler des cierges pour obtenir comme une faveur que le destin nous soit
favorable. Ce qui fait que si nous pouvons infléchir le destin en notre faveur,
l’échec, comme la réussite, devient significatif. Le jeune paresseux qui va
louper son bac en juin va passer pour celui qui n’a pas eu la vertu
nécessaire pour obtenir des Dieux un geste favorable…
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(1) « J’appelle
destin (fatum) ce que les Grecs appellent heimarménè,
c'est-à-dire l'ordre et la série des causes, quand une cause liée à une autre
produit d'elle-même un effet. (...) On comprend dès lors que le destin n'est
pas ce qu'entend la superstition, mais ce que dit la science, à savoir la cause
éternelle des choses, en vertu de laquelle les faits passés sont arrivés, les
présents arrivent et les futurs doivent arriver. » - Cicéron, De divinatione,
I, LV
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