L'homme n'est pas la négation de l'enfant, mais son
développement, et malheur à qui veut barrer ce qu'il fut !
Aragon
– Le libertinage
Le méchant, (dit Hobbes), est un enfant robuste. (…) Il n'y
a sorte d'excès auxquels il ne se portât ; qu'il ne battît sa mère lorsqu'elle
tarderait trop à lui donner la mamelle ; qu'il n'étranglât un de ses jeunes
frères lorsqu'il en serait incommodé ; qu'il ne mordît la jambe à l'autre
lorsqu'il en serait heurté ou troublé.
Rousseau
– Discours sur l’origine … de l’inégalité parmi les hommes (cf. ici)
Parmi les opinions les plus banales que chacun colporte sans
vraiment se demander ce que ça veut dire, il y a celle-ci : il faut savoir
rester le petit enfant que nous avons été – c’est la recette du bonheur, que le
« lâcher prise » nous permet de réaliser ; et pour ceux qui n’y
arrivent pas qu’ils aillent voir un coach en « développement
personnel » – si j’ose dire ! (1)
J’ai beaucoup ronchonné là-contre, mais après tout je suis
peut-être passé à côté de quelque chose ? En tout cas, retrouver cette
idée sous la plume d’Aragon, ça fait réfléchir !
Toutefois, il faut lire avec attention : il s’agit
certes pas de rester en tout point exactement l’enfant que nous avons autrefois
été – ni de le redevenir – mais de
devenir un enfant développé. Et bien
sûr il ne suffit pas d’imaginer l’enfant devenu grand ayant un corps d’adulte
et une psychologie infantile. D’ailleurs, tous ceux qui s’extasient devant
cette idée ne parlent que de garder leur « âme d’enfant » – entendez ni leurs passions, ni leurs
dérèglements ni leurs excès, que Rousseau énumère complaisamment dans le texte
cité (2)
Au fond nous concevons l’enfance comme un état monolithique
qui pourrait disparaître tout entier ou être maintenu à condition de rester
tout entier également. Pour Aragon, nulle rupture, nulle mutation : c’est
progressivement que de nouvelles facultés envies, désirs, etc. apparaissent.
Mais sans que pour cela les désirs, envies, capacités, etc. présents chez
l’enfant ne disparaissent.
Pourquoi pas ? Mais il se trouve que la mécanique du
refoulement de la morale existe et qu’elle nous fait honte si par exemple, devenus
adulte, on continue de désirer ce qui nous faisait envie étant enfant. On veut
bien être un grand enfant qui se régale de sa crêpe au Nutella ; mais si
un homme désirait retrouver sa maman dans la femme qui partage sa vie ?
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(1) J’étais sur le point de me lancer sur les traces de
Peter Pan. Et puis j’ai changé d’avis mais les amateurs pourront se reporter à
cette description du « syndrome de
Peter Pan ».
(2) D’ailleurs Rousseau ne cite ces méfaits que pour les
nier : l’homme sauvage qu’il compare à l’enfant de Hobbes, ignore la
vertu, certes, mais il n’est pas vicieux pour autant. Juste sorti des mains de
la nature il n’est ni bon ni méchant parce qu’il n’a aucune des passions qui viennent
de l’état de vie en société.
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