Chaque fois qu’on produit un effet, on se donne un ennemi.
Il faut rester médiocre pour être populaire.
Oscar
Wilde / Le portrait de Dorian Gray
Semaine
Oscar Wilde – VII
Propos amers d’un auteur désabusé par la tiédeur de sa
renommée ? Ou bien lucidité d’un sage qui a observé la faiblesse des
hommes ?
En tout cas, il faut bien reconnaître que la tendance devant
cette affirmation est de dire : « Ça dépend… »
- Car l’éclat de certains hommes les rend tout bonnement
fascinants : ils savent surprendre par leur imagination, envouter par leur
prose, éclairer par leur science… et parfois nous éblouir par leur beauté. En
leur présence chacun peut prendre conscience de son infériorité et du coup on devient
plus lucide et peut-être plus intelligent.
- Oui, mais cela ne va pas tout à fait de soi. Car si ces
hommes d’exception nous font prendre conscience de notre petitesse, ils nous
infligent aussi du même coup la fameuse « blessure narcissique ». Comme
l’a expliqué Freud, si notre naissance est l’occasion première d’éprouver la
faiblesse de notre pauvre-petit-moi
comme une souffrance devant la toute-puissance du réel, alors toute expérience
ultérieure de cette déception paraît en être la réédition.
On banalise à l’extrême cette expérience en considérant que,
si nous aimons pardessus tout les médiocres, c’est parce que nous pouvons, en
les surplombant du haut de notre supériorité, jouir de notre différence. Mais
en réalité n’est-ce pas surtout parce que tout simplement, ils nous épargnent
cette souffrance ?
Mais alors, dans ce cas à quoi bon les grands hommes ? Ne
nous sont-ils pas également indispensables ? Disons quand même qu’ils ne
sont pas forcément rejetés, et même qu’ils sont souvent adulés comme des héros dont
un pays entier se sent fier. C’est qu’alors il y a identification entre
l’individu et la communauté dont il fait partie.
Beaucoup sont fiers de leur équipe de football, comme si
c’étaient eux qui étaient valorisés par ses exploits.
Et moi, gringalet bancal, qu’ai-je de commun avec ces
héros-là ? Rien, sauf que de façon fantasmée je ne suis plus grâce à cette
identification le petit monsieur dont je viens de parler, mais j’ai quelque
chose en moi de ces fiers athlètes qui remportent la palme.
Si Oscar Wilde peut ironiser devant l’amour de la
médiocrité, c’est simplement parce qu’il est en compétition avec ceux qui
l’emportent dans la compétition sociale. Mais ce n’est plus vrai quand on ne se
sent pas engagé dans cette
compétition : les français sont fiers que Victor Hugo soit un des leurs,
et ils ne sont pas à faire une course aux prix littéraires avec lui.
Victor Hugo : un héros français !
… Quoique : Emmanuel Macron a utilisé ce terme pour
évoquer Johnny Halliday : « il fait partie de ces héros français,
j'ai souvent dit qu'il fallait des héros pour qu'un pays soit grand ».
Alors, aduler les héros – fussent-ils héros rock-n’-roll –
ne sert-il pas essentiellement à faire gober toutes les couleuvres que le
pouvoir nous inflige ? Ne voit-on pas que nos dirigeants célèbrent ces
gens en disant à leurs compatriotes « Vous
aussi, vous êtes de l’étoffe des héros, donc vous devez
assumer » ?
Généraux ou rock-star, quelle différence ?
Si, quand même : il arrive à la rock-star de fuir la
France pour un paradis fiscal.
Ouf ! Merci Johnny !
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