Ne demande pas pour qui sonne le glas : il sonne pour toi
John Donne
Chacun fait tout pour nier que le glas « sonne pour toi ». Et pourtant, si la force vitale qui nous habite nous détourne de la contemplation des morts, c’est que dans chaque mort c’est la nôtre qui s’annonce. Je n’ai pas de sermon à faire. Je proposerai trois réflexions.
- Pour nous, la mort c’est d’abord la mort de l’autre, la seule dont nous ayons une expérience ; cette évidence, c’est celle du cadavre qu’on contemple avec incrédulité : il y avait « quelqu’un » ; il n’y a plus « personne ». Banal. Heidegger explique que la mort est impensable, parce que nous ne pouvons penser notre propre finitude. Mais ça, c’est la vie, ce n’est pas la mort. Je veux dire, que notre vie soit limitée, que notre conscience ne puisse s’arracher au temps et à l’espace où elle s’éprouve : certes. Mais lorsque « sonne le glas », il ne s’agit plus de cela : il s’agit du néant. Aucune valeur ne nous protège de l’anéantissement, nous en avons la preuve à tous les niveaux, qu’il s’agisse des individus, des peuples, des civilisations.
- Plus essentielle peut-être est cette présence de moi-même dans l’autre qui s’éprouve dans l’expérience de la mort d’autrui ; au lieu de dire qu’un peu de soi part avec le défunt, même si c’est vrai, ce qu’on constate ici, c’est que je me vois mort en présence du mort. Et pas seulement si c’est un mort de ma famille ou de mes amis ; n’importe quel mort, aussi anonyme que vous voudrez. On dit qu’un cheval fait un écart quand il passe à proximité d’un cheval mort : Rousseau en tirait la preuve que la pitié est un sentiment naturel. Le glas sonne aussi pour tous les vivants.
- Mais quand même… si la mort des autres est bien le signe de l’inévitabilité de notre propre mort, tout est fait pourtant pour qu’on puisse imaginer qu’elle n’est pas irréversible, ou bien alors qu’elle est un passage vers autre chose. Les pyramides sont là pour que le Pharaon puisse continuer à vivre malgré « sa mort », comme avant ; le premier empereur de Chine s’est fait construire un si formidable tombeau, qu’aujourd’hui encore on hésite à l’ouvrir ; à présent, certains se font congeler post mortem dans l’espoir d’être ressuscité par un médecin du futur…
No comments:
Post a Comment